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LA MORT D’HENRY

Il était « bouleversé » aussi par « le repentir d’avoir fait afficher un faux », — toutes les murailles de France en étaient encore salies, — d’avoir réclamé sa part au triomphe oratoire de son ministre de la Guerre, d’avoir manqué de clairvoyance et de judiciaire. Lui, Brisson, avoir présidé à ces choses ! Il écrira plus tard : « J’ai eu des rêves où j’arrachais ces malheureuses affiches avec mes oncles[1]. »

Il resta seul pendant une heure à méditer et, tout de suite, se mit en face de son devoir. « Cette heure fut comme le point du jour qui a toujours été croissant en lui jusqu’au midi[2]. » La grâce l’avait touché, il aperçut l’œuvre de réparation à accomplir et, sans la maudire, comme feront tant d’autres, il se jura de poursuivre la revision[3].

Les ministres (sauf Bourgeois qui était en voyage) dînaient, ce soir-là, chez Delcassé. Le visage de Brisson, à l’ordinaire grave et triste, parut plus sombre encore. Celui de Cavaignac avait sa rigidité habituelle.

Après le repas, comme cela avait été convenu avec Brisson, Cavaignac fit le récit de l’événement[4]. Rien encore n’avait transpiré.

Lorsque Cavaignac eût terminé sa communication, un grand silence se fit. Tous ces hommes d’État se regardèrent ou regardèrent devant eux, attendant le mot décisif, n’osant le prononcer. Puis, tout à coup, une exclamation retentit : « Allons ! dit Vallé, c’est la revision. »

« Moins que jamais, monsieur ! » riposta Cavaignac[5].

  1. Souvenirs de Brisson. (Siècle du 14 avril 1903).
  2. C’est ce que dit Angélique Arnaud d’elle-même. (Sainte-Beuve, Port-Royal, I, 97).
  3. Chambre des députés, 19 décembre 1898, Brisson.
  4. Souvenirs de Brisson.
  5. Récit d’un témoin.