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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


j’ai agi. Ma lettre est une copie et n’a rien, absolument rien de faux. Elle ne fait que confirmer les renseignements verbaux qui m’avaient été donnés, quelques jours auparavant. Je suis absolument innocent, on le sait, et tout le monde le saura plus tard ; mais, en ce moment, je ne puis parler. Prends toujours bien soin de notre petit Joseph adoré, et aime le toujours, comme je l’aime et comme je t’aime.

Au revoir, ma chérie ; j’espère que tu pourras venir me voir bientôt. Je vous embrasse tous deux du plus profond de mon cœur[1].

Cette lettre est à la fois touchante et mensongère (son faux qui n’est qu’une copie, la traduction écrite de renseignements oraux, comme on le sait), — presque testamentaire (les recommandations au sujet de son fils), — empreinte d’un dernier espoir, peut-être simulé (« tout le monde saura plus tard que je suis innocent, tu pourras venir me voir bientôt »), énigmatique comme ce scélérat qui eut tant d’amis, et si fidèles. Dans l’intérêt de qui a-t-il agi ? Il écrit à sa femme qu’elle le sait ; elle n’en savait rien, ne sut, plus tard que répéter, comme une enfant, la leçon apprise : « Il n’entendait désigner personne en particulier ; il a agi dans l’intérêt du pays[2]. » Sans vouloir mêler la grammaire à la mort qui approche, on peut observer que, s’il n’avait entendu « désigner personne en particulier », il eût dit : « dans quel intérêt ». Le mot qui désigne quelqu’un[3].

On a constaté l’influence de la chaleur sur le suicide.

  1. Cass., III, 84, Dossier Henry.
  2. Rennes, I, 263, Mme Henry.
  3. Cass., I, 47, Zurlinden : « Je crois que le personnage dans l’intérêt de qui Henry disait avoir agi est le commandant Esterhazy. C’est, en effet, dans la lutte pour sauver Esterhazy des manœuvres de Picquart…, etc. »