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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Henry avait emporté au Mont-Valérien ses rasoirs, qui lui eussent été enlevés au Cherche-Midi.

Le suicide, dans les temps modernes ; est d’ordinaire, sauf chez les monomanes, le résultat d’une très prompte détermination. Ceux qui parlent toujours de se tuer, comme Esterhazy, se donnent rarement la mort. On guérit de la manie, de l’attrait du suicide. Chez l’individu sain, quand il se trouve dans une situation désespérée, si la pensée de la mort violente le pénètre, c’est avec une rapidité extrême, vive et subite comme une flèche, et tyrannique comme la plus obstinée des idées fixes, qui veut qu’on lui obéisse aussitôt. La raison fonctionne encore, mais surtout pour trouver des arguments à l’appui de l’impérieuse obsession. Henry put en évoquer plusieurs : la mort rapide, moins cruelle que les humiliations d’un long procès, le supplice de la dégradation, les tortures de l’emprisonnement cellulaire ou du bagne ; un peu de pitié (tout ce qu’il pouvait espérer alors) qui naîtra de sa tombe ; sa femme, puisqu’il n’aura pas été condamné, qui aura droit à toute sa pension[1].

Le matin, il avait revêtu un costume civil. Soit à cause de la chaleur qui le consumait, soit pour être plus libre de ses mouvements, il enleva ses vêtements de dessus, se mit en bras de chemise.

Il était environ 3 heures[2]. Il s’étendit sur le lit et, de deux coups de rasoir, se coupa la gorge. La section du côté gauche très nette, la jugulaire coupée en

  1. La pension fut liquidée à 1.667 francs. (Journal officiel, 26 novembre 1898.)
  2. « Il a dû se suicider vers 3 heures de l’après-midi. » (Procès-verbal du 31 août 1898. Signé : Walter, Varlot, Fête.) — On raconta plus tard que l’officier de service était entré dans sa chambre vers 3 heures, qu’Henry, « assez nerveux », lui