Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
227
BRISSON


jurés : Qu’on la fasse si on veut, nous ne la craignons pas… » ; « aujourd’hui, il la souhaite ».

Pellieux ne s’était pas moins compromis avec Esterhazy que les chefs de l’État-Major, et plus ostensiblement, l’ayant innocenté et s’en étant proclamé fier. De tous les jeunes généraux, nul n’avait retiré plus de profits personnels de l’Affaire, devenu tout de suite populaire, acclamé dès qu’il paraissait dans la rue à la tête de ses troupes, ayant éclipsé Cavaignac et Faure à la revue, guetté par les césariens. Si un soldat de cette trempe et de cette ambition met un tel empressement à faire savoir qu’il souhaite la justice, toute l’armée l’acceptera[1].

Enfin, par une heureuse coïncidence, la Cour de cassation statua le même jour sur les pourvois de Picquart contre les arrêts qui mettaient hors de cause Esterhazy et Du Paty ; et ce fut une nouvelle victoire. En effet, si l’arrêt de non-lieu rendu en leur faveur avait acquis force de chose jugée (parce que le recours contre les décisions de la chambre des mises en accusation n’est ouvert qu’au procureur général et à l’inculpé), il n’en était pas de même de l’arrêt d’incompétence, et la Cour en prononçait l’annulation[2], sans autre conséquence pratique, mais avec les considérants les plus sévères : les juges avaient « violé la loi par défaut d’application »[3].

  1. Le vieux colonel Robert écrivit dans le Soleil : « L’immense majorité de l’armée applaudira à la revision. »
  2. Arrêt du 2 septembre 1898.
  3. Le doyen Sallantin lut d’abord : « par refus d’application ». Tous les journalistes présents entendirent le mot qu’ils enregistrèrent (Débats, Soir, Gazette de France) ; l’Agence Havas le reproduisit, le transmit à tous les journaux de province. On réfléchit ensuite que le refus d’appliquer la loi, c’était le déni de justice qui tombe sous le coup de l’article 135 du Code pénal, et le texte fut remanié en conséquence.