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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


réputé pour sa vertu excusait leur propre cécité. Mais ils ne se solidarisèrent pas avec lui que dans le passé. D’une part, c’était l’évidence que les promoteurs de la Revision avaient eu trop raison contre le sentiment public pour qu’ils pussent aspirer, de longtemps, à un autre rôle que celui de conseillers de l’opinion, — où les hommes auraient été brusquement transformés en demi-dieux. D’autre part, nul ne se rapprochait davantage d’eux que Brisson, qui aurait dû être des leurs dès l’origine, et que les esprits judicieux avaient toujours considéré comme un revisionniste en puissance, même quand il couvrait Billot ou suivait Cavaignac. Les républicains ne pouvaient donc mieux faire que de lier leur fortune à la sienne, alors surtout que, par la force des choses, les héros du drame s’effaçaient du premier plan et que la lutte apparaissait, dans une clarté croissante, comme celle des principes essentiels du monde moderne contre l’extraordinaire retour offensif des forces du passé. Les amis les meilleurs de Brisson savaient tout ce qui manquait à ce vétéran de la démocratie pour être un homme d’État. Mais il était autre chose, un homme-symbole, représentatif de son parti et d’un ensemble d’idées. Il n’avait qu’à rester lui-même, le produit de quarante années de luttes et d’attitudes, pour incarner le pouvoir civil, c’est-à-dire la République elle-même. Il n’y avait pas de majorité parmi les ministres pour la justice, mais, d’avance, une majorité pour Brisson.

Dès le début du conseil (12 septembre), il prit un premier avantage. Zurlinden, cherchant à escamoter l’affaire de Du Paty, l’avait résumée d’un mot : « que cet officier avait commis des extravagances », et, aussitôt, avait passé à Félix Faure le décret qui prononçait la mise en disponibilité par retrait d’emploi.