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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


propre, « le mobile de tout », il est vrai, celui qui oblitère le plus la conscience et la raison.

Devant la Cour, les haines qu’il avait soulevées protégeaient Mercier ; il était presque un accusé. Mais tels étaient son orgueil, son audace et sa profonde politique, qu’il ne voulut point le paraître. Il parla en accusateur, fier de son œuvre, sans qu’un muscle tressaillît de son masque glabre, aux traits aigus et nets, qui semblait d’un vieux César. Son récit fut sommaire, d’une concision voulue et dédaigneuse, mêlé de savantes inexactitudes. Ainsi il chercha à discréditer l’expert Gobert. À plusieurs reprises, il mentit : « Dreyfus, devant Du Paty, reconnut la similitude de son écriture avec celle du bordereau. À partir de ce moment, je n’ai plus eu à m’occuper de l’Affaire. »

Mercier convint d’avoir envoyé Du Paty, après le jugement, chez le condamné pour lui offrir une peine « mitigée », « s’il consentait à révéler ce qu’il avait fait ». Puis, ces aveux, qu’il n’avait point voulu vendre à l’envoyé du ministre, le juif, quelques jours après, les aurait faits, pour rien, à un gendarme inconnu. « Je donnai l’ordre à Lebrun-Renaud de rapporter le propos qu’il avait entendu au Président de la République et au président du Conseil. »

Bien que Dupuy ni Casimir-Perier n’eussent encore rompu leur silence, des conseillers s’étonnèrent : « Pourquoi n’avez-vous pas dressé procès-verbal de cette déclaration ? — C’était une affaire terminée ; on ne pouvait pas prévoir que toute une race se solidariserait plus tard avec Dreyfus. »

Il savait qu’il froissait ces juges ; mais il ne parlait pas pour eux.

On écouta d’abord sans l’interrompre ; bientôt les questions se pressèrent, sur l’agent qui avait apporté