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CHAMBRE CRIMINELLE


le bordereau, sur le personnage étranger qui avait révélé que le traître faisait partie du deuxième bureau. Il refusa de nommer ces auxiliaires précieux (Brücker ou la Bastian, et Val Carlos) ; il « craindrait de désorganiser un service important qui intéresse la sûreté de l’État ».

Tel était l’art particulier de tous ces hommes, mais nul ne le poussa plus loin que lui ; ils couvraient leurs supercheries et leurs faux d’un étalage de patriotisme.

Il acheva sa déposition sans dire un mot de la communication des pièces secrètes. Ce silence déconcerta. Lœw osa l’interroger. Mais il ne broncha pas, comme cuirassé d’arrogance, ayant prévu la question et préparé, avec quelque avocat, Tézenas ou Ployer[1], son refus d’y répondre : « La demande en revision est limitée aux moyens tirés du faux commis par Henry et de la contradiction des expertises ; c’est sciemment que le garde des Sceaux n’a point relevé la communication qui aurait été faite de pièces secrètes, malgré la demande que lui en avait adressée Mme Dreyfus. » Et comme Lœw insista, ne s’arrêtant ni à l’autorité évoquée de Sarrien, ni à cette hypocrisie juridique, Mercier, de ses yeux étroits, lui jeta un regard de défi : « Je persiste dans ma déclaration ; je ne crois pas que la Cour ait à s’occuper de cette question. » À la demande si les pièces portées par Cavaignac à la tribune avaient figuré dans la procédure judiciaire, il dit que non ; si elles furent soumises au conseil de guerre, il ne voulut rien dire.

En terminant, il formula cet avis, qui parut seulement une sottise : « Il est impossible qu’Esterhazy soit l’auteur du bordereau ; même s’il l’avait écrit, il ne

  1. Yves Guyot, Analyse de l’Enquête, 231.