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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


misérable escamotage, la farce de foire dans la tragédie[1].

Que répondre à Dupuy ? Qu’il était de mauvaise foi ? Mieux valait le prouver.

Deux jours après, comme le Sénat venait de voter que l’instruction contradictoire serait étendue désormais aux conseils de guerre[2], — trop tard pour Picquart, mais déjà, par un rare bonheur, son épreuve n’était pas stérile, — Waldeck-Rousseau monta à la tribune. Il y paraissait pour la première fois depuis près de cinq années qu’il était entré au Sénat (il était resté quatre ans hors des Chambres), et, tout de suite, un grand silence se fit, mêlé de curiosité et de respect. Nul, parmi les anciens collaborateurs de Gambetta et de Ferry, n’avait marqué d’une trace plus profonde son passage au pouvoir, l’un des caractères les plus droits qui fût jamais, l’esprit le plus lumineux et qui voyait de plus loin. Il s’était tu jusqu’alors, sauf dans des conversations particulières (notamment avec Casimir-Perier et avec Méline, qu’il avait averti en vain), de cette douloureuse affaire dont il avait, le premier, connu le dossier, et, s’il intervenait maintenant, c’était que la mesure des iniquités et des sottises était comble. Il n’avait pas dépendu de lui qu’il n’y eût pas d’affaire Dreyfus ; il apportait au Gouvernement le moyen de n’y pas ajouter une affaire Picquart. Il suffisait pour cela d’accorder à la Cour de cassation, par un texte de loi[3], la faculté de surseoir d’office à toutes poursuites qui

  1. Mazeau dit nettement que la Cour ne se prêterait pas à « cette sorte d’habileté ». (Soir du 30 novembre 1898.)
  2. Séance du 1er décembre.
  3. La proposition, avec la signature de Waldeck-Rousseau, portait celles de Cazot, Demôle, Poirrier, Thézard, Clamageran, etc.