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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


brochures courantes. Des affirmations techniques de Cavaignac, il ne resta que l’humiliation de les avoir entendues d’un ancien ministre de la Guerre.

Ducros, catholique lui aussi, et ami particulier du père Du Lac[1], savait un fait qui suffisait à détruire toutes les légendes sur les furetages indiscrets de Dreyfus. Comme Hartmann, il demanda à déposer, raconta qu’il avait proposé, par deux fois, à Dreyfus de visiter l’atelier de Puteaux où se fabriquaient, sous sa direction, les appareils d’artillerie les plus secrets. Un espion fut accouru. Dreyfus ne vint pas.

Tous ceux qui, surtout à cette époque, témoignèrent pour Dreyfus auraient eu avantage à se taire. Hartmann fut blâmé par ses chefs, mis en quarantaine[2] ; Ducros ne fut pas mieux traité. Ils supportèrent avec philosophie ces indignités qu’ils avaient prévues. Ainsi avertis, d’autres officiers, qui eussent pu parler utilement, gardèrent le silence. La noblesse de ces temps, le grand enseignement moral qui s’en dégage, c’est que la cons-

  1. Il était le fils de l’ancien préfet de Thiers et de Mac-Mahon qui avait pris, avec un beau courage, la succession de l’Espée, assassiné à Saint-Étienne, et qui se rendit ensuite odieux à Lyon, où il ordonna que les « enfouissements » civils eussent lieu au lever du jour.
  2. Hartmann déposa deux fois, le 19 janvier et le 1er février. Dans l’intervalle, des pressions furent exercées sur lui pour qu’il se refusât à répondre aux questions qui lui seraient posées : « Vous ne savez rien. » Quand le Figaro publia les procès-verbaux de l’enquête et la déposition d’Hartmann, qui produisit une grande impression, son colonel lui déclara que « sa position était devenue très fausse dans l’armée » et « qu’il avait manqué à ses devoirs » : « Vous vous êtes séparé du corps d’officiers ; vous avez agi contre le sentiment des officiers ; votre déposition est dirigée contre les officiers. Vous savez bien que toute la clique socialiste s’est emparée de l’Affaire Dreyfus pour attaquer l’armée. Vous avez porté atteinte au bon renom du régiment où je juge votre situation intolérable… etc. » Hartmann, invité ainsi à démissionner, s’y refusa.