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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

X

Vers la fin de janvier, Dupuy et Lebret, qui prenaient connaissance des procès-verbaux de l’enquête, donnèrent eux-mêmes la preuve que l’innocence de Dreyfus y éclatait. Lœw ayant demandé l’autorisation de les faire imprimer, d’ailleurs pour le seul usage des conseillers, Lebret entrevit qu’un exemplaire, nécessairement, s’égarerait, tomberait, comme par hasard, aux mains d’un journaliste. Du coup, il deviendrait impossible de prolonger la lutte, l’immense effort pour que le blanc fût noir. Les deux ministres se mirent d’accord pour refuser, parce que « c’était inutile » et trop cher[1].

Cette peur, cette haine de la vérité éclata encore à l’occasion de mon procès avec la veuve d’Henry.

Ses avocats avaient cité une centaine de témoins ; j’en avais cité deux cents. Le conseil décida qu’aucun des officiers et fonctionnaires assignés ne seraient déliés du secret professionnel, vu « qu’il s’agissait d’un différend entre particuliers »[2].

Ainsi, une fois de plus, on fermait la bouche de ceux qui savaient, et ce n’était pas un juge, Périvier ou Delegorgue, qui commettait ce déni de justice, mais le Gouvernement lui-même. Les revisionnistes s’indignèrent : « La loi veut que le témoin parle. Le Gouvernement ne

  1. Chambre des députés, séance du 30 janvier 1899. Dupuy ; Temps des 26 et 29 janvier 1899. — Lœw, le 21, avait demandé l’impression de l’enquête à vingt exemplaires ; Lebret lui répondit que les conseillers avaient dû prendre des notes aux audiences et que ces notes suffiraient.
  2. Note officielle du 26 janvier.