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LE DESSAISISSEMENT


veut pas. Toujours l’éternelle parole : La question ne sera pas posée, qu’il faut inscrire au frontispice de l’Affaire[1]. »

Labori, que j’avais choisi pour défenseur, aurait demandé en vain à Boisdeffre comment était arrivé le bordereau ; à Gonse et à Paléologue, par qui la dépêche de Panizzardi, du 2 novembre, avait été falsifiée ; à Bertulus, le récit (encore inconnu) de sa scène avec Henry, dont le retentissement eût été énorme et qui, à lui seul, me justifiait : le président des assises leur aurait intimé de se taire. Libres de parler au huis clos de la Cour de cassation, muets (par ordre) devant le jury. Leurs témoignages aideraient à l’œuvre de justice ; il faut qu’ils restent secrets, que le mensonge seul puisse arriver au peuple. Autant supprimer la loi qui autorise à établir la vérité des diffamations, qui en fait un devoir, quand il s’agit de crimes commis par des fonctionnaires publics[2].

Aussi bien, si le différend est seulement entre particuliers, la Cour d’assises n’est pas compétente, et, dès lors, il eût appartenu au ministère public de demander le renvoi au tribunal correctionnel, où la preuve n’est pas admise ; une seule question se posera : Si j’ai voulu atteindre la veuve et l’enfant que je n’ai point nommés. Beaucoup de jurisconsultes entendaient ainsi la loi. Mais Dupuy préférait le procès en cour d’assises, bruyant et passionné, bien qu’étranglé, qui eût ramené l’Affaire dans la rue et, faute de preuves, puisqu’elles m’étaient retirées, aurait abouti à ma condamnation, comme l’an passé, à celle de Zola (c’est-à-dire à enfon-

  1. Clemenceau, Aurore du 28 janvier 1899. — De même Ranc, Jaurès, Yves Guyot, etc.
  2. Article 35 de la loi du 29 juillet 1881.