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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


cela seul qu’une telle loi est proposée par le Gouvernement, il la faut voter, — ou c’est l’anarchie, une crise, peut-être présidentielle, et la Chambre criminelle tout de même frappée à mort, impuissante à juger.

La force de Dupuy venait tout entière de sa connaissance des hommes, et des plus lâches des hommes, de ceux qui sont réunis en assemblée.

Cependant, même au conseil des ministres, l’affaire n’alla pas sans peine, à cause de l’opposition de Leygues. Il avait déjà donné des preuves de courage, osait résister aux entraînements de parti, et s’il avait renoncé de bonne heure et avec raison à faire des vers, un peu du poète mort jeune avait survécu chez le politique, si bien que ce qui le poussa en avant, ce fut surtout la vilenie, la laideur de la chose. Il avait l’éloquence toulousaine, sonore, parfois trop vibrante. Mais on ne pouvait l’être trop contre une pareille méconnaissance du droit. Faure, surpris par cette attaque, le sang à la figure, la voix cassante, interrompit Leygues à plusieurs reprises, lui reprocha durement de combattre cette loi nécessaire, indispensable, sa loi[1]. Delombre intervint à son tour. Cet économiste, très instruit, qui connaissait à fond la science financière, bon orateur à la manière anglaise, était le plus précautionné des hommes. Pourtant, cette fois, c’était trop. Delcassé, lui aussi, dit son mot ; il s’était précédemment formalisé des accusations de Cuignet, au sujet de la dépêche de Panizzardi, s’en était expliqué avec Freycinet, qui s’évada dans des faux-fuyants[2] ; revisionniste déclaré

  1. Conseil des ministres du 27 janvier 1899. — Le rapport de Mazeau fut communiqué aux ministres en fin de séance. (Temps du 28.)
  2. Lettre du 9 février à Freycinet : « Lorsque, le 3 de ce mois, le garde des Sceaux a procédé devant nous à la lecture