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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

La Commission, avant de recevoir le dossier de la nouvelle enquête, émit l’avis qu’il conviendrait de surseoir à l’examen du projet de loi et de déférer au conseil supérieur de la magistrature, régulièrement convoqué, les accusés et l’accusateur. Dupuy accourut, protesta que le projet n’était pas lié à l’enquête, que la pensée du Gouvernement était seulement d’augmenter la valeur de la sentence finale, et supplia qu’on fît vite. La Commission se laissa convaincre[1], mais pour une autre raison, celle-là sérieuse, que la Chambre criminelle allait clore ses travaux. Il n’était pas possible de laisser l’Affaire en suspens, pour un temps indéfini.

Il n’est pas douteux que le dépôt du projet de dessaisissement ait pesé sur la Chambre criminelle. Elle en savait assez, depuis longtemps, pour innocenter Dreyfus. Pourtant, que de recoins ténébreux elle laissait derrière elle ! J’avais demandé à déposer sur tout ce que je savais d’Henry, de son rôle capital dans l’affaire ; ma demande fut écartée. Il eût fallu entendre également Jaurès, Clemenceau, Brisson, les juges de Dreyfus, Pellieux, Ravary et d’Ormescheville, Saussier, Méline lui-même ; réclamer, selon les usages diplomatiques, les témoignages de Schwarzkoppen et de Panizzardi ; ne pas s’arrêter enfin, puisqu’on n’avait pas voulu s’en tenir au rapport des experts, avant d’avoir forcé toute la redoutable vérité qui se dissimulait derrière le cadavre d’Henry et tant de témoins non moins silencieux. La majorité décida d’en rester là, à cette œuvre qui lui avait coûté tant de peines et valu tant de douleurs, honorable entre toutes, mais incomplètes, une ébauche. Le 6 février, elle informa le garde des Sceaux qu’elle avait entendu ses derniers témoins, — les trois paléographes

  1. 4 février 1899.