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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


sclérose des artères dont il était atteint avait été bien gardé. Mais il avait ruiné lui-même la popularité que lui avaient value, au début de sa présidence, sa bonne grâce, la légende du petit tanneur et les premiers feux de l’alliance russe. Il ne fut regretté que d’un petit nombre d’amis particuliers et des nationalistes, pour qui il avait fabriqué la loi de dessaisissement et qui comptaient sur lui pour empêcher jusqu’au bout la Revision ; Esterhazy écrivit que la mort de Faure était pour lui « un coup terrible[1] ». Les revisionnistes le tenaient pour leur ennemi le plus dangereux, bien qu’il ne travaillât que dans l’ombre, et s’étaient longtemps étonnés que, sorti du peuple, fils d’un ouvrier, ayant vu de près les malheureux, il fût si dur à la plus effroyable des misères humaines ; les républicains, à l’exception des ultra-modérés, lui en voulaient de ses compromissions avec les ennemis de la République ; et le gros de la nation avait fini par s’amuser de cet immense « Monsieur Jourdain » qui jouait au souverain et se croyait de la race des Empereurs, avec qui il échangeait des visites, et des grands ducs, qui s’asseyaient à sa table. Enfin, le mystère de sa mort, qui fut bientôt percé, ajouta à son discrédit. Les récits officiels étaient si maladroits et si contradictoires qu’ils mirent aussitôt les imaginations en travail. Il n’y avait d’éclipse de bon sens que lorsqu’il s’agissait de Dreyfus. Il était inadmissible « que cet homme, frappé d’« apoplexie foudroyante », au dire des médecins, « se fût précipité vers sa porte », comme le racontait Le Gall, pour appeler ce fidèle serviteur ; que, brutalement terrassé comme il le fut, ou dans le coma qui vint si vite, il eût

  1. Lettre à Mme X…, publiée en fac-similé par la Réforme de Bruxelles, 14 février 1899.