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MORT DE FÉLIX FAURE


prononcé tant de belles paroles chrétiennes ; que sa famille eût été avertie si tard, s’il n’y avait pas eu quelque chose à cacher. Des domestiques, des soldats du Palais bavardèrent. On sut, dès le lendemain, qu’une femme était partie par une porte dérobée, avant l’arrivée des médecins, et qui elle était. Les gens qui aiment à compliquer racontèrent qu’il était mort « dans une maison amie » et que son cadavre avait été ramené clandestinement à l’Élysée. Cependant ces rumeurs se seraient peut-être dissipées si Drumont n’avait fait sienne cette version de la catastrophe, et pour y ajouter une de ses inventions ordinaires : « qu’une odeur de meurtre s’exhalait de ce cercueil », que « Dalila » était à la solde des juifs, et que « la main gracieuse, qui avait tendu à Faure on ne sait quelle délectation, imitait le geste atroce de Caserio, levant son poignard emmanché d’un bouquet… Le hasard a parfois la face du crime[1] ». Aussitôt, on appela l’inconnue du nom de « Caseria », et rien que ce mot, d’une invention à la fois facétieuse et terrible, qui était presque un symbole, suffit à détruire la légende officielle. Marcel Habert, qui faisait l’intérim de Déroulède absent, recommanda de répandre le bruit que « la mort brusque et mystérieuse » de Faure était due aux juifs ; ils l’avaient empoisonné, parce qu’il aurait dit : « La Revision est un forfait judiciaire », et « juré de ne pas le laisser commettre[2] ».

Il avait été un fils vaillant de ses œuvres, peina beau-

  1. Libre Parole du 23 février 1899. — L’article, signé « Lux », est intitulé : L’ont-ils tué ? Il est manifestement de Drumont. — Dès le 18, La Patrie insinuait que Faure avait été empoisonné par les juifs. — Les antisémites changèrent plus tard de version : c’était le prince de Monaco qui avait donné à Faure un cigare empoisonné qu’il tenait de Ranc ou de moi.
  2. Séance de la Ligue, du 17 février. — Haute Cour, I, 15, rapport Hennion. — Instr. Pasques, 36, Habert.