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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


était en visite chez le duc, y courut de son côté[1].

Ce nouveau refus du grand-maître du patriotisme inquiéta le duc et ses amis encore plus qu’il ne les irrita. Évidemment, Déroulède avait le dessein de confisquer les forces latentes qui tendaient à un coup d’État militaire et il ne voulait partager sa victoire avec personne. Après avoir attendu vingt-huit ans à la porte de la République parlementaire, la perspective de rester en exil sous la République consulaire n’avait rien d’aimable.

Comme on redoutait en outre la concurrence, non moins déloyale, du prince Victor, Chevilly télégraphia au duc de venir en toute hâte à Bruxelles, pour s’y tenir à portée des événements[2].

Tous ces étourdis (Lur-Saluces. Buffet, Sabran, Beauvoir, de Bourbon, Godefroy) avaient beaucoup « conspiré » depuis quelque temps, ou ce qu’ils appelaient ainsi, c’est-à-dire qu’ils en faisaient les gestes. Honnêtes gens dans le commerce ordinaire, ils avaient mis de côté tout scrupule, et tout moyen leur paraissait bon « pour étrangler la gueuse », selon la vieille formule de Changarnier. L’intention criminelle (aux termes de la loi) y était donc, et ils s’en faisaient gloire. Mais les grands conspirateurs classiques qu’ils se targuaient de continuer, un Retz ou un Blanqui, n’auraient pas ménagé leur dédain pour une façon de faire qui était à l’opposé de ce qu’il eût fallu, l’attente d’un grand événement imprévu au lieu de la préparation profonde d’un accident certain, des bavardages presque publics, et une manie d’écrire qui était comparable à celle d’Esterhazy. Ils n’avaient des maîtres de l’art du complot que la

  1. Scellés Chevilly, dépêche du 17 février 1899. (Haute Cour, II, 59.)
  2. 17 février. (Haute Cour, I, 106). De même Honoré de Luynes (II, 59), Buffet (V, 9).