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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


sur sa permission[1]. « Il fut question de faire apporter des rafraîchissements. ». « Tout le monde s’amusait. » Au moment de sortir avec Junck, Henry, « continuant la plaisanterie », dit à Bertulus : « Si les journalistes me voient ainsi accompagné, ils vont dire que je suis arrêté. » — Il a réfléchi que ce même propos, huit jours auparavant, a pu paraître suspect à Bertulus ; il le transpose dans le mode gai. — Alors Bertulus : « Mon cher ami, je vais vous conduire jusqu’au bout de la galerie. » Et, chemin faisant, il leur dit sa conviction qu’Esterhazy était un aventurier, peut-être un escroc, mais certainement que ce n’était pas un traître[2].

Entre temps, aux interrogatoires et aux confrontations avec Christian[3], Esterhazy et sa maîtresse niaient tout. La fille jura qu’elle n’avait « connu l’existence des télégrammes, comme tout le monde, que par les journaux ». Reconnaissante au rufian qui l’avait élevée de la prostitution du trottoir à celle du boudoir, rieuse et vaillante, elle fut, jusqu’à la fin, irréductible. Le juge, qui avait maintenant plusieurs lettres d’elle, lui montra que l’écriture en était identique à celle de la dépêche Speranza. Elle lui donna le démenti[4]. Esterhazy joua au naturel le rôle du sinistre Pantalon qu’il était. La plupart des criminels, quand ils sont sous les verrous, se font un système auquel ils se cramponnent.

  1. Cass., I, 636 ; Rennes, I, 275, Roget ; 698 et suiv., Junck.
  2. Cass., I, 637 ; Rennes, I, 275, Roget ; 650, Junck ; 658, Gonse. — Bertulus, dément ces récits tout en convenant que, « dans une certaine limite, peut-être, il se montra prévenant ». Il reconnaît « qu’il sorti de son cabinet avec Henry et Junck », mais nie formellement le propos qui lui est prêté ; il était, depuis le 12 juillet, convaincu qu’Esterhazy était le traître. « Et cette conviction est devenue plus profonde encore à mesure que je suis resté en instruction avec lui. » (Rennes, I, 658.)
  3. Cass., II, 237 à 261.
  4. Ibid., II, 239, Pays.