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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


derrière Du Paty. En effet, Henry empruntait ce nom de Berthe pour y accoler celui de Du Paty, à l’un des télégrammes adressés par la comtesse de Comminges à Picquart, en Tunisie, et interceptés par ordre : « Il faut qu’Alice renvoie immédiatement les lettres de Berthe…[1] ».

C’était cette missive qui avait inspiré à Henry l’invention des faux télégrammes[2]. Il n’existait aucune dépêche signée du nom de Berthe à l’adresse de Du Paty, et la maîtresse d’Esterhazy ne savait rien de la femme dont Mlle de Comminges réclamait les lettres.

Il y a, dans toutes les impostures d’Henry, une sottise par où on peut le prendre, mais qui n’apparaît qu’à la longue.

Bertulus, qui croyait, sur la foi de Christian, c’est-à-dire d’Esterhazy, et comme Picquart, que le document libérateur venait de Du Paty, ne s’inquiéta pas de savoir d’où Du Paty lui-même le tenait. Il n’y avait plus rien, apparemment, à tirer d’Henry, et, considérant déjà Du Paty comme un accusé, il ne voulait pas l’interroger comme témoin.

Il avait d’ailleurs des raisons sérieuses d’en finir. C’était miracle si l’instruction ne lui avait pas été déjà retirée, comme les journaux de l’État-Major l’avaient réclamé vingt fois et comme le procureur Feuilloley l’en avait menacé à leur premier conflit. Depuis qu’il s’y était découvert, en prenant parti contre Esterhazy, il était la bête noire du Parquet et, pour L’État-Major, « Judas[3] ». Il ne s’était arrêté ni aux objections du procureur, ni à la crainte de se perdre. Bravement, il avait fait son devoir, mis la main au collet d’Esterhazy. Désa-

  1. Cass., I, 345, Cuignet.
  2. Voir t. II, 665 et 666.
  3. Rennes, I, 366, veuve Henry.