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CAVAIGNAC MINISTRE


fisance des charges[1]. La loi n’a point prévu ou voulu établir ce mode d’incompétence. Ces juges connaissaient le Code et ces arrêts. Il est certain que les charges étaient insuffisantes : les témoignages de la comtesse de Comminges qui avait déposé avec ses rancunes, après avoir excité Leblois contre Du Paty[2] ; ceux de Picquart qui n’avait apporté nul fait, rien qu’une opinion, et ceux de Christian qui avait parlé d’après Esterhazy. Bertulus, en outre, avait eu le tort de ne pas interroger Du Paty à nouveau[3], et, surtout, de ne pas tenir compte des conclusions de l’expert, formel sur l’écriture de la dépêche Speranza. Mais la chambre des mises en accusation n’était juge encore que de la compétence.

Elle reprocha à Bertulus « d’avoir employé un moyen illégal et abusif pour soustraire les faits et le militaire en cause à la juridiction établie pour les juger ». C’est ce qu’elle fit elle-même, dans un scandaleux renversement des lois, mutilant la poursuite pour mutiler la preuve, parce qu’elle redoutait « que l’implacable engrenage ne prît Du Paty après Esterhazy[4] ».

  1. Cass., 2 septembre 1898, Bard : « La Cour suprême a jugé, par de nombreux arrêts, que la preuve, l’abondance des preuves offertes ne change rien à la compétence ; elle résulte seulement de la nature du fait incriminé… La valeur de la preuve est sans influence sur la compétence. »
  2. Instr. Fabre, 69, Ducasse : « Elle est allée chez Me Leblois pour lui donner des renseignements sur Du Paty. »
  3. Du Paty, qui avait refusé de déposer en mars, se serait-il également dérobé en juillet ? En tous cas, Bertulus eût pu le contraindre à déposer comme il fit pour Henry. — Il dit encore qu’il n’avait pu communiquer à l’expert Couderc que des pièces de dates anciennes, alors qu’il lui avait remis, le 31 mars, une lettre de Du Paty à lui-même adressée, et en date du 26. En fait, il y eût deux expertises, du 28 février, sur des pièces remises par Picquart, et du 31, mars, et toutes deux négatives.
  4. Jaurès, Les Preuves, 287.