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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


n’eût pas été accueilli par plus d’injures, les mêmes d’ailleurs, la monotone, l’éternelle accusation que les juges s’étaient vendus aux juifs et aux sans-patrie. Et il y avait encore des milliers et des milliers de lecteurs pour ces indignités, des centaines d’officiers à s’en réjouir. Ce fut pour eux, dans « cette victoire juive », une consolation d’entendre traiter Ballot-Beaupré « d’abjecte crapule », les quarante-six conseillers de « vieux macaques qui avaient mis à sec les caisses du Syndicat », Loubet de « Panama Ier[1]. » Lasies écrivit à Dupuy que, s’il osait toucher à Mercier, il demanderait, lui, « sa mise en accusation immédiate » : « Le plus coupable, le plus inexcusable, c’est vous ! »

Il n’y avait de divergence entre les insulteurs que dans leurs pronostics. Drumont geignait : « Une armée qui ne sait pas défendre son honneur contre une bande de juifs, ne saura pas défendre la patrie contre une invasion étrangère[2] » ; mais Cassagnac, avec Barrès, Rochefort et Judet, répétait le défi du vieux général Cosseron de Villenoisy : « C’est l’armée qui aura le dernier mot[3]. »

L’agitation dans la rue, les complots de salon repri-

  1. Autorité du 31 mai, des 1er et 3 juin 1899 ; Intransigeant des 1er et 3 juin ; Libre Parole des 29 mai, 2 et 4 juin : « Ballot est un scélérat qui sera une figure dans l’histoire des ignominies humaines… Quel peut donc bien être le prix du marché conclu entre le rapporteur et le syndicat de trahison ?… »
  2. Libre Parole du 4 juin : « Si nous avions trouvé l’ombre d’une virilité dans une culotte rouge, nous aurions gagné la bataille. Nous n’avons rien trouvé, rien, rien, rien que des félicitations et des poignées de mains. C’est peut-être la note la plus triste de cette ignoble aventure. » — Quesnay se lamentait : « J’ai trop vécu. »
  3. Autorité du 2. — Barrès : « L’historiette Dreyfus, cette sale affaire confuse, ne m’intéresse pas ; c’est une guerre civile. »