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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


sa froide insolence accoutumée, déclara que, loin de se considérer comme un accusé, « il restait un accusateur[1] ».

Cependant, il était moins rassuré qu’il ne disait ; Gerville-Réache, qui avait eu l’initiative de la loi de dessaisissement, déposa, à tout événement, une proposition d’amnistie pour « tous les faits délictueux ou criminels se rattachant à l’affaire Dreyfus[2] ». Il le fit sans bruit, pour qu’on n’y vît pas l’aveu d’une crainte secrète, « se réservant de réclamer l’urgence après l’arrêt de Rennes ».

La grande inquiétude des républicains, c’était l’armée.

Krantz, avec des intentions droites, honnête homme et, à le juger sur l’apparence, solide comme ses Vosges, manquait cruellement de prestige. Or, à aucun moment, le corps d’officiers n’avait eu plus besoin d’un chef aux titres incontestés, à la supériorité partout reconnue, respecté et craint.

Depuis le départ de Freycinet, surtout depuis l’arrêt des Chambres réunies qui remettait aux juges militaires la sentence définitive, l’armée était entrée dans la phase la plus dangereuse de sa crise. En reprenant possession du condamné que la procédure en revision leur avait soustrait, les soldats redevenaient les arbitres de l’Affaire et, par l’Affaire, semblait-il, de toute la politique. De fermes esprits, parmi les civils, se fussent grisés d’un tel rôle ; ceux-ci, foncièrement incapables de voir telles qu’elles sont les choses qui ne sont pas de leur métier, et fumant, enfiévrés depuis deux ans, éclatèrent. Rien de la vérité ne leur était parvenu, ni le

  1. Agence Nationale, Temps, etc.
  2. 9 juin 1899.