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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/278

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Les étrangers, journalistes et curieux, vinrent en grand nombre de tous les pays, surtout d’Angleterre et d’Allemagne, et manquèrent souvent de réserve. On a déjà dit qu’en prenant parti, du premier jour de l’Affaire, ils avaient aidé à irriter des instincts qu’ils ne soupçonnaient pas chez un peuple aussi hospitalier et qu’ils continuèrent à exaspérer. Comme la légende du Syndicat était plus vivace que jamais, les petits commerçants de Rennes nommèrent les monnaies étrangères des « dreyfusardes[1] ».

Les dossiers du procès de 1894 et l’enquête de la Cour de cassation avaient été mis depuis un mois à la disposition des juges, tous anciens élèves de l’École polytechnique et, dès lors, au contraire de Carrière, fort instruits et très supérieurs à la moyenne des officiers. Ils passèrent de longues heures à les étudier, ballottés entre le crime évident d’Esterhazy et leur longue certitude professionnelle que Dreyfus était coupable, désireux qu’il le fût et se raccrochant à la preuve de Mercier, s’il se décidait à la livrer ou, seulement, à en confirmer l’existence. C’est ce que plusieurs disaient aux amis qui les questionnaient : « que Dreyfus était encore innocent, mais qu’il faudrait voir[2] ».

Sauf le commandant Lancran de Bréon, d’une famille très catholique (son frère était prêtre), et qui

  1. Barrès, loc. cit., 204. — « Les commentaires de la presse anglaise ont fait à Dreyfus plus de tort que de bien. Ils étaient si violents que, s’ils avaient visé des juges anglais, les éditeurs de ces journaux eussent été condamnés à la prison pour mépris de la justice. » (Rapport de Lord Russell de Killowen à la Reine, du 16 septembre 1899, sur le procès de Rennes, dans sa biographie par Barry o’Brien. — Lord Russell, alors Chief-Justice, assista aux dernières séances du procès.)
  2. Voir p. 220.