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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


avait comme fondu, un peu de chair collée sur des os qui la perçaient ; par contre, la taille à peine voûtée, « redressée contre les destinées[1] », l’énergique menton aux méplats saillants, la moustache fine et restée châtaine, surtout l’éclat factice du teint où l’affaiblissement du cœur amenait, à chaque respiration, des flots de sang qui l’empourpraient et firent dire à Barrès « qu’il rosissait comme un petit cochon[2] ». Les partisans de la recondamnation, quelque décidés qu’ils fussent d’avance à le trouver à la fois bien portant et « antipathique », ont confessé eux-mêmes la première impression, toute mécanique, que leur fit l’apparition de cette « chair vivante et broyée[3] » ; une telle ruine humaine cria d’abord plus haut que la haine irréconciliable, la froide résolution préconçue de fermer au ressuscité le chemin de la pitié. Mais, lui-même, il leur vint en aide, ne voulant pas de ce chemin pour aller aux cœurs, l’abandonnant aux coupables : « Qu’on cherche à apitoyer, quand on est fautif, cela se conçoit ; un innocent ne doit s’adresser qu’à la raison[4] » ; et non seulement l’idée de jouer

  1. Serge Basset.
  2. Barrès, 142 : « De minute en minute, le sang vient colorer sa peau, puis le laisse tout blême… À chaque respiration… etc. » — « Le sentiment de honte et d’anxiété qui mettent sur sa face une rougeur ardente. » (Écho de Paris.)
  3. Barrès : « Toute la salle bougea d’horreur et de pitié mêlées. » Maizière ; « L’émotion qui étreint tout le public. » (Gaulois.) Forzinetti m’écrivit : « À ce moment, rien n’existait pour moi, je ne voyais que lui… » Bernard Lazare : « Les visages étaient pâles, croyez-moi. On a essayé après de raisonner, d’analyser ; mais, tout d’abord, on n’y pensait pas. »
  4. C’est ce qu’il dit lors de sa déposition au second procès en revision : « Je n’avais qu’un devoir, faire appel à la raison et à la conscience des juges… C’est moi qui ai de la pitié pour les hommes qui se sont déshonorés en faisant condamner un innocent par les moyens les plus criminels. »