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RENNES


faire part à Demange de son étonnement : « Moi, un peu plus, j’aurais pleuré ! » Demange lui répondit que Dreyfus lui avait murmuré qu’il allait éclater en sanglots et qu’il s’était félicité ensuite, comme d’une victoire, de s’être maîtrisé.

Au dehors, quand, rentrant du lycée à la prison, il passait entre deux rangées de soldats, les journalistes de la presse féroce le guettaient, et, quand son pas ralentissait, quand sa pauvre face semblait contractée, sa tête moins droite sur les épaules épuisées, ils télégraphiaient joyeusement « qu’il se sentait pris[1] » et qu’il avait été hué par des « patriotes[2] ».

IV

Maintenant que royalistes et nationalistes étaient ainsi rassurés sur Dreyfus et sur son manque d’offensive, ils escomptaient d’autant plus la déposition de Mercier, fixée à la première audience publique. Pendant le long entr’acte des séances à huis clos, on ne vit que lui, dans les rues et sur les places de Rennes, mais très calme, sans une hésitation dans la voix, pour répéter « à tout venant » que « Dreyfus était plus qu’un traître, le roi des traîtres[3] ». Selon Cavaignac,

  1. Écho et Libre Parole du 10 août 1899 : « Il marche lentement ; son dos est voûté davantage… »
  2. Gaulois et Intransigeant du 9 : « L’accusé a été conspué par la foule. Au moment où il se rendait à la prison, le cri de « À bas le traître, hou ! hou ! » s’est fait entendre. On a été obligé d’établir un barrage pour empêcher que les assistants ne se précipitassent sur Dreyfus, »
  3. Barrès, 137.