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RENNES


le policier Cochefert qu’ils se sont trompés dans leur auto-suggestion effrayée de la première heure[1], « ce devoir d’honnête homme » leur paraîtrait une défection. Mais leur attitude, toutes leurs paroles suintent la haine, une haine qui supplée à tout, et quiconque a gardé son idéal militaire souffre cruellement à ce spectacle. Rarement, ce qu’il y a de plus laid chez l’homme s’est montré plus à nu. C’est l’acharnement des sauvages à déchirer un prisonnier. Une mauvaise rage, et d’autant plus affreuse qu’il y a du zèle chez plus d’un, de la préoccupation de se faire bien voir des grands chefs, leur fait chercher dans leurs souvenirs tout ce qui pourrait nuire un peu plus à l’infortuné et qu’un reste de pudeur les avait retenus de porter au premier procès. L’un d’eux, Duchatelet, questionné sur son silence d’alors, s’en justifie en ces termes : « Comment, voilà un officier qui est accusé du plus grand des crimes, et moi j’irais dire : « Il m’a dit qu’il est allé chez telle femme et y a perdu de l’argent. » Non, je n’ai rien dit…[2] » Mais il le dit maintenant ; et, de même, Junck, Maistre, Dervieu, Boullenger, Roy, Gendron, furieux jusqu’à la bouffonnerie que Dreyfus, en 1894, eût invoqué son témoignage au sujet de la dame Déry qu’ils voyaient tous deux[3] surtout Bertin-Mourot, aggravent leurs dépositions d’il y a cinq ans. Ils ont découvert ou retrouvé des charges nouvelles ou de plus précises, des propos de joueur, de libertin ou de « sans patrie »

  1. Rennes, I, 585 : Cochefert : « Je dois dire, et c’est un devoir d’honnête homme que j’accomplis… Si j’avais connu l’écriture d’Esterhazy, j’aurais peut-être retenu le ministre de la Guerre dans son premier élan. »
  2. Ibid., II, 99, Duchatelet.
  3. Ibid., 68, Gendron : « Je ne me suis jamais expliqué pourquoi il a donné mon nom… » III, 118 : « De quel droit a-t-il indiqué mon nom ? »