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RENNES


son, parce qu’il était un tempérament plus qu’une intelligence[1].

Il ferrailla d’abord contre Mercier, épuisa, avec l’assentiment bourru de Jouaust, son questionnaire[2], son « interrogatoire », dit-il à la première passe entre eux ; mais Mercier, à qui rien n’échappait, protesta contre le mot, dit qu’il ne se laisserait pas traiter en « accusé[3] », garda jusqu’au bout son attitude d’accusateur. Rien ne put l’en déloger. — Gonse, quand il se sentait serré, s’effarait, balbutiait d’un ton pitoyable des excuses : « Moi, je ne suis pas responsable… », ou des sottises : « Esterhazy était un accusé spécial » ; Roget, avec le Pellieux du procès Zola pour modèle, n’était pas de taille, enragé, le ton tranchant, l’air de tout pourfendre, enchanté de lui-même, d’une fatuité niaise, intervenant à tout propos, régisseur des témoins militaires, mais tout en paroles, comme les orateurs de café de son pays, et prompt comme pas un à se dégager, dès qu’il sentait le fer, rompant avec des moulinets, mais rompant tout de même[4]. Mercier, lui, à aucun moment, ne recule d’un pas. Tantôt, aux questions les plus pressantes, il riposte par des affirmations ou des

  1. Barrès, 179 : « Cet avocat, qui compromettrait même l’innocence, n’est pas une intelligence ; c’est un tempérament. Un homme de cette sorte, s’il a de l’entraînement, pourra simuler la plupart des sentiments sans y mettre rien de sincère. » Chevrillon : « C’est un Lohengrin, un fabuleux chevalier qui, à la vue du danger, oublieux de soi, avide de bataille, fonce en avant et n’est plus qu’attaque impétueuse. »
  2. Rennes, II, 196, Labori : « Je dois vous demander, monsieur le Président, de revenir sur l’ensemble de la déposition de M. le général Mercier. »
  3. Ibid., II, 213, Mercier : « Je proteste contre le mot interrogatoire ; je ne suis pas un accusé. » 402 : « Ce n’est pas sur les réquisitions de Me Labori que je viens témoigner. »
  4. Ibid., 170, 171, Gonse ; 230, 256, Roget.