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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


raisonnements effrontés qui rendent toute discussion impossible (qu’il ne s’est pas occupé de l’enquête contre Dreyfus, que la lettre d’Henry à Papillaud, dont Papillaud refuse toujours de laisser voir l’original, n’est pas de l’écriture d’Henry) ; tantôt, il refuse de répondre « parce que la question n’est pas du ressort de la défense », ou « qu’il ne pense rien d’Esterhazy », ou « qu’il n’admet pas qu’on l’interroge sur ses opinions[1] » ; et, toujours, sur le même ton hautain et sec, impératif, les yeux mi-clos, sans un tressaillement de sa face glabre, de jour en jour plus sinistre, creusée de rides plus profondes, pareille à celle d’une très vieille femme ou d’un évêque espagnol, dans les tableaux d’Herrera l’Ancien. Il y a des moments où le cynisme, à une telle puissance, force l’admiration, où l’on inclinerait à croire que le crime peut être créateur d’une sorte de beauté.

La lutte fut particulièrement vive au sujet du texte falsifié de la dépêche de Panizzardi. A-t-il été mis, en 1894, au dossier secret ? Freystætter l’atteste d’une voix forte : « Le télégramme (Dreyfus arrêté, émissaire prévenu) a été communiqué aux juges » ; mais Maurel, devenu tout à coup très pâle, en a perdu tout souvenir ; et Mercier affirme avoir prescrit de ne pas faire usage d’une traduction incertaine[2]. D’aucun côté rien qui ressemble à une preuve. Freystætter, avec sa belle tête de soldat, son franc regard, l’énergie concentrée de son accent, donne la sensation de la loyauté, mais pourrait être victime d’une « superposition de mémoire ». Mercier, cette fois, dit peut-être la vérité (au cas où Sandherr ou Henry seraient allés, à son insu, jusqu’au crime

  1. Rennes, II, 198, 202, 213, etc. Mercier,
  2. Voir t. Ier, 363.