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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


donné, sacrifié, exploité par ceux même qui se donnent des airs de me défendre, par Boisdeffre comme par les autres. A-t-il été assez faible, celui-là, assez mielleux ?… Savez-vous que j’ai eu faim, ici ; oui, j’ai eu faim, je suis resté deux jours sans manger. » (Il pleure, se raidit) : « Vous pourrez dire que vous avez vu pleurer le commandant Esterhazy, le uhlan, comme disent les idiots ou les bandits de là-bas !… Que reste-t-il, à cette heure, dans votre pays ? » (Il se reprend) : « Je me trompais : que reste-t-il dans notre pays qui soit encore debout ? La France crève de la Révolution de 1789 qu’elle n’a pu digérer. » (Il passe en revue ses anciens chefs, ses anciens camarades) : « Gonse ? un ahuri. Pellieux ? un brave homme qui a perpétuellement le trac du pouvoir civil. Billot ? un politicien. Cavaignac ? le plus culotte de peau, celui-là, un grotesque… Dire que ça a voulu, un instant, être président de la République !… Picquart ? un bellâtre, un ambitieux, un Napoléon rond de cuir, se laissant rouler par tout le monde. » (Il ne fait d’exception que pour Du Paty et pour Henry) : « Un vrai soldat, Henry ! Incapable de la moindre pensée basse et de toute action déshonorante… Nous étions très liés, nous n’avions rien de caché l’un pour l’autre… Vous croyez, vous, qu’il s’est suicidé ? Vous croyez, cela ?… Ah ! l’héroïsme de cette vie de devoir simple !… Son faux ? Mais comprendrez-vous jamais, vous autres Français, qu’un service de renseignements est et doit être fatalement une officine de faux ? La chose va de soi. » (Il revient aux généraux, aux grands chefs) : « Ils sont capables de se faire trouer la peau pour le pays, mais aucune volonté, pas la moindre dignité de caractère : « Je ne suis qu’une fille, leur a dit un jour Marguerite Pays, mais je m’estime bien plus que vous, avec toutes vos croix et toute votre graine