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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


plus tumultueux que jamais, pour redouter que ce fût leur réponse. La douleur, l’indignation y criaient jusqu’au ciel. Même la forme la plus basse de la colère, l’injure, parut, ce jour-là, de l’éloquence. Guyot proposait d’élever un monument à l’infamie des juges[1]. On annonçait une campagne de réunions à travers toute la France, une formidable agitation contre la haute armée, « cette caste insensée ou scélérate qui n’a plus rien de commun avec la nation[2] ». Et des centaines, des milliers de dépêches arrivaient à la prison de Rennes, portaient à Dreyfus l’assurance que la lutte ne cesserait pas, deviendrait plus ardente.

Comment parler d’apaisement à ces passions de guerre civile, de grâce à cette soif intense de justice ? Et cependant c’était le seul parti qui restât, puisque la porte de la Loi s’était refermée.

Ou il fallait appliquer l’inique, le détestable jugement, et le cœur de Waldeck-Rousseau se serrait à cette pensée. Ou il fallait que l’initiative de la grâce fût prise par l’un des hommes qui avaient aidé à déchaîner cette révolte de la Vérité et du Droit.

  1. « Les cinq juges qui ont commis ce crime judiciaire et que ce monument a pour but de vouer au mépris et à l’exécration de chacun sont le colonel Jouaust, le lieutenant colonel Brogniart, les commandants de Bréon, Profilet et Merle… » (Siècle du 10 septembre 1899.) — On fut longtemps à connaître les noms des deux juges qui s’étaient prononcés pour l’acquittement. « Un faux bruit se répandit que Profilet et Beauvais étaient les deux traîtres à l’armée. » (Barrès, 218.) Selon la Lanterne, c’étaient Beauvais et Bréon.
  2. Jaurès, dans la Petite République ; l’article est intitulé : Défi et Lâcheté.