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Page:Kant - Anthropologie.djvu/350

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S’agit-il maintenant de savoir si le genre humain (qui, lorsqu’on l’envisage comme une espèce d’êtres terrestres raisonnables, par comparaison avec ceux qui pourraient habiter d’autres planètes, comme une multitude de créatures sorties d’un Démiurge, peut être aussi appelé une race) doit être considéré comme une race bonne ou mauvaise, il faut avouer alors qu’il n’y a pas là de quoi se vanter. Quiconque cependant fera attention à la conduite des hommes, non simplement dans l’histoire ancienne, mais encore dans la moderne, ne sera pas souvent tenté de jouer la misanthropie d’un Timon dans ses jugements ; il sera bien plus porté à prendre le rôle plus vrai de Momus, et trouvera plus de folie que de méchanceté dans le trait caractéristique de notre espèce. Mais comme la folie jointe à un linéament de méchanceté (ce qui la fait alors appeler sottise) est manifeste dans la physionomie morale de notre espèce, il résulte assez clairement déjà de ce qu’elle cache une grande partie de ses pensées, comme tout homme prudent s’y croit obligé, que chacun dans notre race se trouve persuadé de la nécessité d’être sur ses gardes et de ne pas se laisser voir entièrement tel qu’il est ; ce qui déjà trahit le penchant de notre espèce à être mal intentionné à l’égard d’autrui.

Il pourrait bien se faire qu’il y eût sur quelque autre planète des êtres qui seraient dans la nécessité de penser tout haut, c’est-à-dire qui, dans l’état de veille et de sommeil, seuls ou en société, ne pourraient avoir de pensées qu’à la condition de les exprimer aussitôt.