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DES CARACTÈRES.


Quelle différence n’en résulterait-il pas dans la conduite de ces êtres, comparée à celle que nous tenons à l’égard les uns des autres ? S’ils n’étaient pas tous d’une pureté angélique, on ne voit pas comment ils pourraient s’aborder, comment ils pourraient avoir quelque estime l’un de l’autre, et se supporter mutuellement. — Il entre donc déjà dans la composition primitive d’une créature humaine, dans la notion de son espèce, de chercher à connaître les pensées des autres et de cacher les siennes propres ; belle qualité, qui ne manque pas de s’élever insensiblement de la dissimulation à la feinte calculée, et enfin jusqu’au mensonge. Ce serait donc une caricature de notre espèce, caricature qui ne porterait pas seulement à s’en rire de bon cœur, mais encore à la mépriser dans ce qui la caractérise, et forcerait de convenir que cette race d’êtres raisonnables de notre monde ne mérite pas une place d’honneur entre tous les autres (qui nous sont inconnus)[1], si ce jugement défavorable

  1. Frédéric II demandait un jour à un homme de mérite, Sulzer, qu’il estimait pour ses services et auquel il avait confié la direction des écoles en Silésie, comment les choses allaient. Sulzer répondit : « Depuis qu’on a pris l’habitude d’édifier sur le principe (de Rousseau), que l’homme est naturellement bon, cela commence à mieux aller. » — « Ah ! (répartit le roi) mon cher Sulzer, vous ne connaissez pas assez cette maudite race à laquelle nous appartenons. » — Ce qui caractérise encore notre espèce, c’est que, dans sa tendance à se constituer civilement, elle a besoin d’être encore disciplinée par une religion, afin que ce qui ne peut s’obtenir par une contrainte extérieure, se fasse par une contrainte intérieure (celle de la conscience) ; les dispositions morales de l’homme peuvent être mises à profit par les législateurs. C’est une