Page:Kant - Anthropologie.djvu/459

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Mais elle ne peut être assez souvent répétée, puisqu'il est dans la nature de l'homme de trouver plus commode de vivre corporellément que spirituellement; d'autant plus que, comme il est arrivé dans les temps les plus modernes, la philosophie elle-même, jadis le soutien de la vie spirituelle, ne reconnaît plus, dans le système de l'identité, de différence entre l'esprit et le corps, et que philosophes et médecins admettent si bien la dépendance de l'esprit, qu'ils en viennent même à excuser tous les crimes comme provenant de cette dépendance de l'âme, de sorte que bientôt l'on en sera au point de ne pouvoir plus rien appeler du non de crime.

Mais où conduit cette opinion? N'est-elle pas directement opposée aux lois divines et humaines qui sont établies sur cette base ? Ne conduit-elle pas au matérialisme le plus grossier? N'anéantit-elle pas toute moralité, toute force delà vertu, force qui consiste précisément à vivre de la vie de l'idée et à soumettre le corporel à l'idée ? N'est-elle pas aussi destructrice de toute vraie liberté, de toute indépendance, de tout empire ou sacrifice de soi-même, enfin, de ce qu'il y a de plus élevé dans ce que l'homme peut atteindre, la victoire sur lui-même ? L'emblème qui représente l'homme comme le cavalier d'un coursier sauvage sera éternellement vrai; il unit un esprit raisonnable à un animal qui doit le porter, mais qui l'attache à à la terre où il doit maintenant le guider et le gouverner. Là est le prçblème de toute sa vie. Ne consiste-t-il-pas, en effet, à combattre en soi cette animalité et à la soumettre à une puissance, plus haute? Ce n'est qu'en domptant cet animal, en s'en affranchissant le plus possible, que l'homme rendra sa vie régulière, raisonnable, morale, et par conséquent véritablement heureuse. Laisse-t-il la domination à l'animal : celui-ci l'emporte çà et là, en fait le jouet de ses caprices et de ses bonds, jusqu'à ce qu'il le précipite mortellement.

Cette domination physique de soi-même est utile, non seulement pour la vie et la santé spirituelle, qui est la plus noble, mais elle contribue grandement aussi à la conservation, à la