Aller au contenu

Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nières avec qui les enfants des classes supérieures passent si volontiers leur temps. C’est ce qui arrive souvent, malgré les défenses des parents, probablement parce que les enfants sentent qu’il y a moins de différence intellectuelle entre eux et ces personnes simples qu’il n’y en a entre eux et « les grandes personnes » de leur classe. L’aïeule était précisément, aux yeux d’Aurore, une de ces « grandes personnes ». La grand’maman adorait sa petite-fille à sa façon, mais elle trouvait déplacé de lui témoigner cet amour, comme de trop caresser les enfants et de se montrer trop familière avec eux[1]. Admiratrice de Rousseau, elle n’admettait pas non plus qu’on les punit et ne leur adressait des observations, autant par principe, que par habitude, que d’un ton réservé et froid qui leur inspirait plus de crainte et de respect que les cris les plus furieux de la mère, qui ne connaissait aucun frein lorsqu’elle était déchaînée contre ses enfants. Marie-Aurore aurait désiré élever sa petite fille selon ses convictions, orner son esprit et le diriger avant tout dans la voie de la raison : c’est-à-dire l’habituera réfléchir sur les phénomènes de la vie, — trait distinctif de la philosophie et de la science du xviiie siècle. L’aïeule eût voulu exclure aussi de l’éducation tout élément fantastique, afin

  1. Inutile de dire qu’elle avait raison de s’opposer à l’habitude plébéienne de Sophie de faire coucher la petite avec elle. George Sand fait ici preuve de partialité envers sa mère et de son désir d’étaler ses sentiments pour les classes inférieures (dont sa mère est toujours la représentante dans ses Souvenirs), et d’une absence complète de toute notion de l’hygiène, lorsqu’elle affirme à ce propos que « rien ne saurait être plus chaste et plus sain pour une petite fille de neuf ans que de partager le lit de sa mère ». Nous doutons fort que nos médecins ou nos pédagogues modernes, soient de son avis, lors même qu’ils craindraient de passer pour « aristocrates » en prenant en pareil cas le parti de l’aïeule contre celui de la femme du peuple. Nous dirons même que tout ce que George Sand écrit au sujet des dissentiments qui existaient sur cette question entre sa grand’mère et sa mère, produit sur le lecteur une impression étrange et fort déplaisante. V. Histoire de ma Vie, t. II, p. 407-409.