Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/199

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dépérit à vue d’œil, brûlée par un feu intérieur. Cette langueur physique amena à son tour une défaillance morale, Aurore crût remarquer que sa foi s’affaiblissait ; elle avait des moments d’apathie spirituelle, d’insensibilité, qu’elle subissait comme un châtiment mérité pour des péchés imaginaires. Un jour enfin, elle alla, tout effrayée, se confesser à l’abbé de Prémord de ses prétendus péchés qui ne lui permettaient pas, disait-elle, d’être en paix avec Dieu et la privaient de cet état de grâce dans lequel elle avait vécu plusieurs mois.

L’abbé de Prémord saisit le motif de ce « refroidissement de foi » de son enthousiaste pénitente, et, en sa qualité de directeur spirituel, lui défendit de s’adonner à la prière des heures entières au lieu de courir avec ses amies, de passer toutes les récréations sur les dalles froides de l’église, de se mortifier inutilement et de se livrer à ses scrupules. Il lui imposa comme pénitence de mener un genre de vie plus conforme à son âge et à sa nature, de jouer, de s’amuser, de sortir de son ascétisme, de vivre dans la société, en un mot, d’être à la fois affable et pieuse. « Dieu n’aime pas les élans fiévreux d’une âme en délire, dit-il, il préfère un hommage pur et soutenu. » L’abbé Prémord avait parfaitement deviné le caractère de sa pénitente, tout composé de contraste et de transitions d’un extrême à l’autre. Ce conseil était donné très à propos. D’abord, Aurore ne se remit à jouer aux barres et à la balle que par obéissance pour son confesseur, puis elle reprit goût au jeu et redevint bientôt le boute-en-train de tous les amusements. La piété d’Aurore n’en souffrit nullement, mais la « diablerie » ne ressuscita plus : les jeux, les espiègleries n’étaient plus les mêmes. Jamais le couvent n’avait vu des jours d’une joie aussi franche ; toutes les