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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/264

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Aurore, on le voit, s’était attachée à son « ami Casimir ». N’oublions pas qu’à quinze ans encore, lassée et brisée par tout ce qu’elle avait eu à souffrir de son unique affection passionnée — son amour pour sa mère — et, n’ayant encore rencontré personne à qui elle eût pu consacrer toute cette ardeur d’un cœur qui s’éveille, elle se jeta à corps perdu dans une piété exaltée. « Il me fallait, » dit-elle, « aimer hors de moi[1]. » Depuis lors, elle se trouva encore plus seule ; sa grand’mère était morte, la religion ne la satisfaisait plus. Aurore fit ses premiers pas dans la vie, et le besoin d’aimer se réveilla en elle avec une nouvelle force. Il est hors de doute que, si Dudevant eût compris sa femme et lui eût été égal, s’il ne s’était pas manifesté, deux ans à peine après le mariage, grossier et brutal, le sentiment qui s’était éveillé en elle, se serait probablement épanoui en un éclat splendide, aurait brûlé d’une flamme ardente. Hélas, il était condamné à se flétrir, à être étouffé. Des mains grossières vinrent froisser cette tendre plante et ne lui permirent pas de se développer. Le petit feu s’éteignit ; à peine une vive étincelle couva-t-elle sous la cendre tout au fond de son cœur. Lorsque cette étincelle éclata plus tard en incendie, elle consuma la maison entière qu’elle eût pu éclairer et réchauffer.

Les Dudevant passèrent donc deux années assez paisibles et assez heureuses. Aurore soignait son enfant et s’occupait du ménage, préparait de petites surprises à sa mère, à sa belle-mère et à sa sœur, faisait des confitures, cousait des gilets et des guêtres pour son mari[2]. Casimir rétablissait

  1. Histoire de ma Vie, t. III, p. 177.
  2. Voir la lettre à Mme Saint-Agnan du 6 janvier 1830. (Revue Ency-