Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/276

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mari, d’abord chez sa tante, Lucie Maréchal, et, plus tard, à proximité, dans un logement séparé. De nouveau, les Dudevant sortirent beaucoup et reçurent des amis. Aurore voyait fréquemment ses anciennes amies de couvent, surtout Jane et Aimée Bazouin, et faisait de la musique avec sa cousine Clotilde. Dans les premiers jours du printemps, les Dudevant retournèrent à Nohant.

Bientôt Aurore eut un grand chagrin, la mort énigmatique de Deschartres, qui mourut sans que l’on ait jamais su quand ni comment, et sans laisser aucun écrit. Aurore crut qu’il s’était tué après s’être ruiné dans une entreprise malheureuse, et, après avoir perdu tout espoir de s’enrichir, ce qui avait été le rêve de toute sa vie. George Sand est dans le vrai quand elle nous dit que cet homme, si dur en apparence, n’avait vécu que pour les autres ; ce n’est qu’à son déclin qu’il avait commencé à vivre seul, s’imaginant — comme il le fit du reste pendant tout sa vie — qu’il n’était qu’un égoïste. C’est que le pauvre vieillard ne se connaissait pas lui-même. Ce qui le porta au suicide, ce fut la solitude et le chagrin. Cette mort rompit les derniers fils qui rattachaient Aurore à sa jeunesse et au vieux Nohant. « Deschartres emportait avec lui, dans le néant des choses finies, toute une notable portion de ma vie, tous mes souvenirs d’enfance, tout le stimulant, tantôt bienfaisant, tantôt fâcheux de mon développement intellectuel. » Elle perdait en lui l’homme à qui elle devait beaucoup, malgré la tyrannie pédagogique et la brusquerie qui le caractérisaient ; elle perdait enfin en lui « un cœur dévoué et le commerce d’un esprit remarquable à beaucoup d’égards… ». Quoi qu’il en soit, Deschartres était un homme qui comprenait en partie ses exigences d’esprit et savait quelquefois répondre à ses