Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/294

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brisait, elle s’entassait sur moi ; j’étais suspendue à des cordes de mille pieds, qui rompaient tout à coup, et je me trouvais seule dans une autre ville plus enfouie encore, descendant toujours et se perdant par mille galeries et recoins piranésiques jusqu’au centre du globe. Je me réveillais baignée d’une sueur froide, et, me rendormant, je partais pour d’autres voyages et d’autres visions encore plus fiévreuses… »

Si le lecteur ignorait ce qui s’est passé aux Pyrénées, et que les lignes qui précèdent ne l’aient pas encore suffisamment convaincu qu’au voyage à Lourdes se rattachaient, pour Aurore, des souvenirs tout particuliers, les lignes par lesquelles elle termine le chapitre sur Les Pyrénées, ne laissent plus place à aucun doute.

… « Je n’ai gardé aucun souvenir du voyage de Bagnères à Nérac. Il en est ainsi de beaucoup de pays que j’ai traversés sous l’empire de quelque préoccupation intérieure : je ne l’ai pas vu.

… « Les Pyrénées m’avaient exaltée et enivrée comme un rêve qui devait me suivre et me charmer pendant des années. Je les emportais avec moi pour m’y promener en imagination, le jour et la nuit, pour placer mon oasis fantastique dans ces tableaux enchanteurs et grandioses que j’avais traversés si vite, et qui restaient pourtant si complets et si nets dans mon souvenir, que je les voyais encore dans leurs moindres détails[1]… »

C’est, en effet, dans les Pyrénées, et mieux encore à Bordeaux, qu’était demeurée l’oasis où la pensée d’Aurore se reportait sans cesse au milieu du désert intellectuel et moral où elle se sentait si seule. Plusieurs années durant,

  1. Histoire, t. IV. p. 26.