Page:Krafft-Ebing - Psychopathia Sexualis, Carré, 1895.djvu/199

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sition de l’anomalie à la perversion se produit probablement de la façon suivante.

Celui qui reste pendant longtemps en état de servitude sexuelle sera plus enclin à contracter de légères tendances masochistes. L’amour, qui supporte volontiers la tyrannie pour l’amour de la personne aimée, devient alors directement un amour de la tyrannie. Quand l’idée d’être tyrannisé s’est longtemps associée à une représentation de l’objet aimé, accompagnée d’un sentiment de plaisir, cette manifestation de la sensation de plaisir finit par se reporter sur la tyrannie même et il se produit de la perversion. Voilà comment le masochisme peut être acquis[1].

  1. C’est un fait bien intéressant et qui repose sur l’analogie qui existe entre la sujétion et le masochisme, relativement à leur manifestation extérieure, que pour décrire la servitude sexuelle on emploie généralement, soit par plaisanterie, soit au figuré, des expressions comme celles-ci : « esclavage, être enchaîné, porter des fers, agiter le fouet sur quelqu’un, atteler quelqu’un à son char de triomphe, être aux pieds de quelqu’un, sous le règne de la culotte, etc. », toutes choses qui, prises au pied de la lettre, sont pour le masochiste, l’objet de ses désirs pervers.

    Ces locutions imagées sont d’un fréquent usage dans la vie ordinaire et sont presque devenues triviales. Elles ont pris leur origine dans la langue poétique. De tout temps la poésie a vu dans l’image d’ensemble d’une violente passion amoureuse, l’état de dépendance de l’objet qui peut ou qui doit se refuser, et les phénomènes de la servitude se sont toujours présentés à l’observation des poètes. Le poète, en choisissant des termes comme ceux que nous venons de citer, pour représenter avec des images frappantes la dépendance de l’amoureux, suit absolument le même chemin que le masochiste qui, pour se représenter d’une manière frappante sa dépendance (qui est pour lui le but), cherche à réaliser des situations correspondant à son désir.

    Déjà la poésie antique désigne l’amante par le mot domina et emploie de préférence l’image de la captivité chargée de fers (Horace, Od., IV, 11). Dès cette époque et jusqu’aux temps modernes, (comparez Grillparzer, Ottokar, IVe acte : « Régner est si doux, presque aussi doux qu’obéir ») la poésie galante de tous les siècles est remplie de phrases et de métaphores semblables. Sous ce rapport, l’histoire de l’origine du mot « maîtresse » est aussi très intéressante.

    Mais la poésie réagit sur la vie. C’est de cette façon qu’a pu prendre naissance le service des dames chez les courtisanes du Moyen Âge. Ce service avec adoration des femmes comme « maîtresses » dans la société aussi bien que dans les liaisons d’amour isolées, en assimilant les rapports entre féaux et serfs avec les rapports entre le chevalier et sa dame, avec la soumission à tous les caprices féminins, aux épreuves d’amour et aux vœux, à l’engagement d’obéissance à tous les ordres des dames, apparaît comme un développement et un perfectionnement systématique de la servitude amoureuse. Certains phénomènes extrêmes, commue, par exemple, les souffrances d’Ulric de Lichtenstein ou de Pierre Vidal au service de leurs dames, ou les menées de la