Page:Langlois - Harivansa ou histoire de la famille de Hari, tome 1.djvu/155

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de colère, dit à son fils en l’accablant de reproches : « Et quelle est donc ta condition[1] ? quels sont tes devoirs, insensé, toi qui oses me manquer de respect, comme si j’étais un étranger pour toi ? » Et dans son indignation il maudit Yadou : « Misérable ! que ta postérité soit privée du trône. » Il s’adressa pareillement à Tourvasou, à Drouhya, à Anou, et il reçut d’eux la même réponse. L’invincible Yayâti, emporté par son courroux, prononça aussi contre eux la même imprécation. Après avoir maudit ses quatre fils aînés, il tint à Poûrou un semblable discours : « Poûrou, je voudrais, revêtu des formes de ta jeunesse, parcourir la terre. Consens-tu à te charger de ma vieillesse ? » Le généreux Poûrou accepta sa proposition, et Yayâti, prenant la jeunesse de son fils, se mit à parcourir la terre. Pour terminer dignement le cours de cette carrière de plaisirs, il séjourna dans le bois de Tchêtraratha[2], occupé de ses amours avec la belle Viswâtchî[3]. Quand il fut rassasié de ce bonheur que donne le désir satisfait, ce prince revint trouver Poûrou, et reprit sa vieillesse.

Voici, ô grand roi, fils de Bharata, les vers que prononça alors Yayâti, et dans lesquels il conseille à l’homme de concentrer en soi ses désirs[4], comme la tortue retire ses membres dans son écaille. « Jamais, dit-il, la passion n’est contente des concessions qu’on lui fait : c’est ainsi que le feu du sacrifice est alimenté par le beurre sacré qu’on y jette. En voyant que tous les biens de la terre ne suffisent pas aux désirs d’un seul homme, que le riz, l’orge, l’or, les bestiaux, les femmes, rien n’est assez pour lui, on doit devenir raisonnable. Celui qui respecte tous les êtres et ne les outrage ni en actions, ni en paroles, ni en pensées, obtient un jour le bonheur de Brahmâ. Ce bonheur est réservé à celui qui ne craint pas les autres et qui n’en est pas craint, qui n’éprouve aucun sentiment d’amour ni de haine. Heureux celui qui n’est point tourmenté de cette soif, funeste ma-

  1. Il y a dans le texte आश्र्म​ et ce mot renferme peut-être un reproche adressé à un prince dépendant de son père, et ne devant ce qu'il possède qu'à sa générosité. Yadou a fait entendre à Yayâti qu'il ressemble à un mendiant ; et Yayâti, renvoyant le reproche à son fils Yadou, lui demande s'il n'est pas un mendiant lui-même.
  2. Tchitraratha est un Gandharva de la cour d'Indra, et de son nom le parc de plaisance de ce dieu est appelé Tchétraratha.
  3. C'est le nom d’une Apsarâ ou nymphe céleste.
  4. Cette pensée, et quelques-unes de celles qui viennent après, se trouvent dans le Bhagavad-gîtâ. Voy. lect. ii, sl. 58 et alibi.