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Page:Langlois - Rig Véda.djvu/36

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INDE. — INTRODUCTION.

pure et instinctive cède le pas à l’interprétation des dépositaires de la tradition. Le brahmane apparaît comme le seul intermédiaire entre la divinité et l’homme ; il impose son intervention, il complique le rituel, il crée les castes, il édicte des lois, et la multitude, lui confiant son âme, se laisse dominer peu à peu, absorber, annuler.

Mais cette multitude qu’on vient de condamner à une inégalité infranchissable par l’institution des castes, et à une ignorance absolue par l’interdiction de lire même ses codes sacrés, fera dévier le sabéisme ingénieux et poétique, qui avait succédé au monothéisme primitif, vers un polythéisme universel. Le soma, cette liqueur du sacrifice, sera traité de divinité, ainsi que le mortier et le pilon qui servent à l’obtenir ; la plante médicinale passera déesse ; les grenouilles seront invoquées, les dés enfin deviendront des dieux. C’en est fait, le bien et le mal, la pluie bienfaisante comme l’ouragan, la moralité comme les passions, prennent rang dans cet olympe étrange, qui a remplacé la voûte céleste et pure des premiers Aryas. C’était par l’Asoura, le principe de vie, indépendant de toute manifestation particulière, que s’était révélé le monothéisme primitif ; maintenant l’Asoura cessera d’être une croyance pour entrer dans le domaine philosophique qui intervertira sa valeur ; et Vâk, la sainte parole symbolisant les puissances diverses de la nature, créera pour la multitude autant de dieux, que ses besoins, ses terreurs et ses rêves en auront exigés.

Malheureusement l’ordre chronologique du Véda a été confondu par ses transcripteurs, et le classement en est arbitraire à un tel point que dès la première des huit sections du Rig, on rencontre des hymnes de tous les âges. Dans ce recueil, que les brahmanes ont coordonné, on reconnaît, sans difficulté, le dessein spécial de mettre d’accord les anciennes prières avec le nouveau culte. On y trouve même une sorte d’idée dirigeante dans la disposition des invocations de presque tous ses livres : d’abord paraît Agni, puis Indra, ensuite les Viçwadévas, tous les dieux ; comme si les diverses familles, les diverses tribus, dont chacune affectionnait tout naturellement le nom et l’image de son dieu particulier, avaient voulu s’entendre et s’arranger de manière à former, dans chaque livre, une espèce de panthéon des différents symboles et des différents attributs de la divinité indienne. Peut-être cet arrangement a-t-il plus d’importance qu’on ne lui en a accordé jusqu’à présent, et dévoile-t-il une partie de l’intelligence politique des brahmanes, lesquels, pour arriver à la domination de toutes les tribus des Aryas de l’Inde, auraient commencé par en adopter les différents symboles, en leur faisant une place d’honneur dans le livre qu’ils déclaraient sacré. Y a-t-il une époque antérieure au Rig-Véda ? Tout le fait présumer : les divers Manous, rappelés dans le Rig tout autant que les douze prophètes qui précèdent Zerdoust ou Zoroastre, énumérés dans le Décatir. Aussi MM. Émile Burnouf, Lassen Oppert, Obry, ont-ils cherché à déterminer la géographie et même la langue de ce berceau commun de l’Occident tout entier, l’Aryana. À l’âge le plus éloigné peuvent se rapporter, chez les Aryas, les premiers rudiments de la vie et