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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

Gaveau. — C’est au bagne qu’il faut envoyer un manifeste pareil !

Merlin. — Tout cela ne répond pas aux actes pour lesquels vous êtes ici.

Ferré. — Cela signifie que j’accepte le sort qui m’est fait.

Pendant ce duel entre Merlin et Ferré, la salle était restée haletante ; des huées éclatèrent quand Ferré eut fini. Le président dut lever la séance et les juges sortaient, quand un avocat demanda qu’on donnât acte à la défense de ce que le président avait traité Ferré d’assassin. Les huées de l’auditoire reprirent. Le défenseur se tourna vers le tribunal, les bancs de la presse, le public. Des injures parties de tous les coins de la salle couvrirent sa voix pendant plusieurs minutes. Merlin, qui rayonnait, répondit cavalièrement : « Je reconnais que je me suis servi de l’expression dont parle le défenseur. Le conseil vous donne acte de vos conclusions. »

La veille, à un avocat qui lui disait : « Nous sommes tous justiciables, non pas de l’opinion publique d’aujourd’hui, mais de l’histoire qui nous jugera », Merlin avait tranquillement répondu : « L’histoire ! À cette époque nous ne serons plus là ! » La bourgeoisie française avait trouvé la monnaie de Jeffries.

Le lendemain, de bonne heure, la salle fut comble. La curiosité du public, l’anxiété des juges étaient extrêmes. Gaveau, pour accuser ses adversaires de tous les crimes à la fois, avait parlé deux jours politique, histoire, socialisme. Il suffisait de répondre à chacun de ses arguments pour donner à la cause le caractère politique qu’il lui refusait. Si quelque accusé allait se réveiller enfin et, moins soucieux de sa personne que de la Commune, suivre pas à pas le réquisitoire, aux grotesques théories de conspiration, opposer l’éternelle provocation des classes privilégiées, raconter Paris s’offrant au Gouvernement de la Défense, trahi par lui, attaqué par Versailles, ensuite abandonné, les prolétaires réorganisant tous les services de l’immense cité, et, en état de guerre, entourés de trahisons, gouvernant deux mois sans mouchards et sans supplices, pauvres,