Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/124

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ment dangereux pour l’âme ; parce que ces nerfs ne dépendent point dans leur action de la volonté des hommes, comme ceux qui servent à remuer les bras, les jambes et les autres parties extérieures du corps, et qu’ils agissent beaucoup plus sur l’àme que l’âme n’agit sur eux.

I. Il faut donc savoir que plusieurs branches de la huitième paire des nerfs se jettent entre les fibres du principal de tous les muscles, qui est le cœur ; qu’ils environnent ses ouvertures, ses oreillettes et ses artères ; qu’ils se répandent même dans la substance du poumon, et qu’ainsi par leurs différents mouvements ils produisent des changements fort considérables dans le sang. Car les nerfs qui sont répandus entre les fibres du cœur, le faisant quelquefois étendre et raccourcir avec trop de force et de promptitude, poussent avec une violence extraordinaire quantité de sang vers la tête et vers toutes les parties extérieures du corps ; quelquefois aussi ces mêmes nerfs font un effet tout contraire. Pour les nerfs qui environnent les ouvertures du cœur, ses oreillettes et ses artères, ils font à peu près le même effet que les registres avec lesquels les chimistes modèrent la chaleur de leurs fourneaux, et que les robinets dont on se sert dans les fontaines pour régler le cours de leurs eaux. Car l’usage de ces nerfs est de serrer et d’élargir diversement les ouvertures du cœur, de hâter et de retarder de cette manière l’entrée et la sortie du sang, et d’en augmenter ainsi et d’en diminuer la chaleur. Enfin, les nerfs qui sont répandus dans le poumon ont aussi le même usage ; car le poumon n’étant composé que des branches de la trachée-artère, de la veine artérieuse et de l’artère veineuse entrelacées les unes dans les autres, il est visible que les nerfs qui sont répandus dans sa substance empêchent par leur contraction que l’air ne passe avec assez de liberté des branches de la trachée-artère, et le sang de celles de la veine artérieuse, dans l’artère veineuse pour se rendre dans le cœur. Ainsi ces nerfs, selon leur différente agitation, augmentent ou diminuent encore la chaleur et le mouvement du sang.

Nous avons dans toutes nos passions des expériences fort sensibles de ces différents degrés de chaleur de notre cœur. Nous l’y sentons manifestement diminuer et s’augmenter quelquefois tout d’un coup ; et comme nous jugeons faussement que nos sensations sont dans les parties de notre corps à l’occasion desquelles elles s’excitent en notre âme, ainsi qu’il a été expliqué dans le premier livre, presque tous les philosophes se sont imaginé que le cœur était le siége principal des passions de l’âme, et c’est même encore aujourd’hui l’opinion la plus commune.