Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/148

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même manière que dans le corps de la mère, c’est-à-dire à rendre l’enfant semblable à la mère ou de même espèce qu’elle. Cela paraît assez par les accidents qui arrivent lorsque l’imagination de la mère se dérègle et que quelque passion violente change la disposition naturelle de son cerveau ; car alors, comme nous venons d’expliquer, cette communication change la conformation du corps de l’enfant, et les mères avortent quelquefois des fœtus d’autant plus semblables aux fruits qu’elles ont désirés que les esprits trouvent moins de résistance dans les fibres du corps de l’enfant.

On ne nie pas cependant que Dieu, sans cette communication dont nous venons de parler, n’ait pu disposer d’une manière si exacte et si régulière toutes les choses qui sont nécessaires à la propagation de l’espèce pour des siècles infinis, que les mères n’eussent jamais avorté et même qu’elles eussent toujours eu des enfants de même grandeur, de même couleur, en un mot tels qu’on les eût pris l’un pour l’autre ; car nous ne devons pas mesurer la puissance de Dieu par notre faible imagination, et nous ne savons point les raisons qu’il a pu avoir dans la construction de son ouvrage.

Nous voyons tous les jours que sans le secours de cette communication les plantes et les arbres produisent assez régulièrement leurs semblables, et que les oiseaux et beaucoup d’autres animaux n’en ont pas besoin pour faire croître et éclore d’autres petits lorsqu’ils couvent des œufs de différente espèce ; comme lorsqu’une poule couve des œufs de perdrix ; car quoique l’on ait raison de penser que les graines et les œufs contiennent déjà les plantes et les oiseaux qui en sortent, et qu’il se puisse faire que les petits corps de ces oiseaux aient reçu leur conformation par la communication dont on a parlé, et les plantes la leur par le moyen d’une autre communication équivalente, cependant c’est peut-être deviner. Mais quand même on ne devinerait pas, on ne doit pas tout à fait juger par les choses que Dieu a faites quelles sont celles qu’il peut faire.

Si on considère toutefois que les plantes qui reçoivent leur accroissement par l’action de leur mère lui ressemblent beaucoup plus que celles qui viennent de graine ; que les tulipes, par exemple, qui viennent de cayeux sont de même couleur que leur mère, et que celles qui viennent de graine en sont presque toujours fort différentes ; on ne pourra douter que si la communication de la mère avec le fruit n’est pas absolument nécessaire afin qu’il soit de même espèce, elle est toujours nécessaire afin que ce fruit lui soit entièrement semblable.

De sorte qu’encore que Dieu ait prévu que cette communication