Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/147

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des poires par exemple, les enfants, si le fœtus est animé, les imaginent et les désirent de même avec ardeur ; et (que le fœtus soit ou ne soit pas animé) le cours des esprits, excité par l’image du fruit désiré, se répandant dans un petit corps fort capable de changer de figure à cause de sa mollesse, ces pauvres enfants deviennent semblables aux choses qu’íls souhaitent avec trop d’ardeur. Mais les mères n’en souffrent point de mal, parce que leur corps n’est pas assez mou pour prendre la figure des corps qu’elles imaginent ; ainsi elles ne peuvent pas les imiter ou se rendre entièrement semblables à elles. »

Or il ne faut pas s’imaginer que cette correspondance que je viens d’expliquer et qui est quelquefois cause de si grands désordres, soit une chose inutile ou mal ordonnée dans la nature. Au contraire elle semble très-utile à la propagation du corps humain ou à la formation du fœtus, et elle est absolument nécessaire à la transmission de certaines dispositions du cerveau qui doivent être différentes en différents temps et en différents pays ; car il est nécessaire par exemple que les agneaux aient dans de certains pays le cerveau tout à fait disposé à fuir les loups, à cause qu’il y en a beaucoup en ces lieux et qu’ils sont fort a craindre pour eux.

Il est vrai que cette communication du cerveau de la mère avec celui de son enfant a quelquefois de mauvaises suites, lorsque les mères se laissent surprendre par quelque passion violente. Cependant il me semble que sans cette communication les femmes et les animaux ne pourraient pas facilement engendrer des petits de même espèce. Car encore que l’on puisse donner quelque raison de la formation du fœtus en général, comme M. Descartes l’a tenté assez heureusement, cependant il est très-difficile, sans cette communication du cerveau de la mère avec celui de l’enfant, d’expliquer comment une cavale n’engendre point un bœuf, et une poule un œuf qui contienne une petite perdrix ou quelque oiseau d’une nouvelle espèce, et je crois que ceux qui ont inédite sur la formation du fœtus seront de ce sentiment.

Il est vrai que la pensée la plus raisonnable et la plus conforme à l’expérience sur cette question très-difficile de la formation du fœtus, c’est que les enfants sont déjà presque tout formés avant même l’action par laquelle ils sont conçus, et que leurs mères ne font que leur donner l’accroissement ordinaire dans le temps de la grossesse. Cependant cette communication des esprits animaux et du cerveau de la mère avec les esprits et le cerveau de l’enfant semble encore servir à régler cet accroissement et à déterminer les parties qui servent à sa nourriture à se ranger à peu près de la