Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/154

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comme dans l’exemple du chevalier d’lgby, dans celui de cet enfant né fou et tout brisé, dans le cerveau et dans tous les membres duquel l’imagination de la mère avait produit de si grands ravages, et enfin dans l’exemple de la corruption générale de la nature de l’homme.

Et il ne faut pas s’étonner si les enfants du roi d’Angleterre n’ont pas eu la même faiblesse que leur père. Premièrement, parce que ces sortes de traces ne s’impriment jamais si avant dans le reste du corps que les naturelles. Secondement, parce que la mère n’ayant pas la même faiblesse que le père, elle a empêché par sa bonne constitution que cela n’arrivât. Et enfin parce que la mère agit infiniment plus sur le cerveau de l’enfant que le père, comme il est évident par les choses que l’on a dites.

Mais il faut remarquer que toutes ces raisons qui montrent que les enfants du roi Jacques d’Angleterre ne pouvaient participer à la faiblesse de leur père, ne font rien contre l’explication du péché originel ou de cette inclination dominante pour les choses sensibles ni de ce grand éloignement de Dieu que nous tenons de nos parents ; parce que les traces que les objets sensibles ont imprimées dans le cerveau des premiers hommes ont été très-profondes, qu’elles ont été accompagnées et augmentées par des passions violentes, qu’elles ont été fortifiées par l’usage continuel des choses sensibles et nécessaires à la conservation de la vie, non-seulement dans Adam et dans Ève, mais même, ce qu’il faut bien remarquer, dans les plus grands saints, dans tous les hommes et dans toutes les femmes de qui nous descendons : de sorte qu’il n’y a rien qui ait pu arrêter cette corruption de la nature. Ainsi, tant s’en faut que ces traces de nos premiers pères se doivent effacer peu à peu, qu’au contraire elles doivent s’augmenter de jour en jour ; et sans la grâce de Jésus-Christ, qui s’oppose continuellement à ce torrent, il serait absolument vrai de dire ce qu’a dit un poëte païen :

Ætas parentum pejor avis tulit
Nos nequiores, mox daturos
Progeniem vitiosiorem.

Car il faut bien prendre garde que les vestiges qui réveillent des sentiments de piété dans les plus saintes mères ne communiquent point de piété aux enfants qu’elles ont dans leur sein, et que les traces au contraire qui réveillent les idées des choses sensibles et qui sont suivies de passions ne manquent point de communiquer aux enfants le sentiment et l’amour des choses sensibles.

Une mère, par exemple, qui est excitée à l’amour de Dieu par