Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/155

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le mouvement des esprits qui accompagne la trace de l’image d’un vénérable vieillard, à cause que cette mère a attaché l’idée de Dieu à cette trace de vieillard ; car, comme nous avons vu dans le chapitre de la liaison des idées, cela se peut facilement faire, quoiqu’il n’y ait point de rapport entre Dieu et l’image d’un vieillard ; cette mère, dis-je, ne peut produire dans le cerveau de son enfant que la trace d’un vieillard et que de l’inclination pour les vieillards, ce qui n’est point l’amour de Dieu dont elle était touchée. Car enfin il n’y a point de traces dans le cerveau qui puissent, par elles-mêmes, réveiller d’autres idées que celles des choses sensibles ; parce que le corps n’est pas fait pour instruire l’esprit, et qu’il ne parle à l’âme que pour lui-même.

Ainsi une mère, dont le cerveau est rempli de traces qui, par leur nature, ont rapport aux choses sensibles, et qu’elle ne peut effacer à cause que la concupiscence demeure en elle et que son corps ne lui est point soumis, les communiquant nécessairement a son enfant, l’engendre pécheur quoiqu’elle soit juste. Cette mère est juste, parce qu’aimant actuellement ou qu’ayant aimé Dieu par un amour de choix, cette concupiscence ne la rend point criminelle quoiqu’elle en suive les mouvements dans le sommeil. Mais l’enfant qu’elle engendre n’ayant point aimé Dieu par un amour de choix, et son cœur n’ayant point été tourné vers Dieu, il est évident qu’il est dans le désordre et dans le dérèglement et qu’il n’y a rien dans lui qui ne soit digne de la colère de Dieu.

Mais lorsqu’ils ont été régénérés par le baptême et qu’ils ont été justifiés, ou par une disposition du cœur semblable à celle qui demeure dans les justes durant les illusions de la nuit, ou peut-être par un acte libre d’amour de Dieu qu’ils ont fait étant délivrés pour quelques moments de la domination du corps par la force du sacrement ; car comme Dieu les a faits pour l’aimer, on ne peut concevoir qu’ils soient actuellement dans la justice et dans l’ordre de Dieu s’ils ne l’aiment ou s’ils ne l’ont aimé, ou pour le moins si leur cœur n’est disposé de la même manière qu’il serait s’ils l’avaient actuellement aimé : alors, quoiqu’ils obéissent à la concupiscence pendant leur enfance, leur concupiscence n’est plus péché ; elle ne les rend plus coupables et dignes de colère ; ils ne laissent pas d’être justes et agréables à Dieu par la même raison que l’on ne perd point la grâce, quoique l’on suive en dormant les mouvements de la concupiscence ; car les enfants ont le cerveau si mou, et ils reçoivent de si vives et de si fortes impressions des objets les plus simples qu’ils n’ont pas assez de liberté d’esprit pour y résister. Mais je me suis arrêté trop long-temps à des choses qui