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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/156

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ne sont pas tout à fait du sujet que je traite. C’est assez que je puisse conclure ici de ce que je viens d’expliquer dans ce chapitre que toutes ces fausses traces que les mères impriment dans le cerveau de leurs enfants leur rendent l’esprit faux, et leur corrompent l’imagination ; et qu’ainsi la plupart des hommes sont sujets à imaginer les choses autrement qu’elles ne sont, en donnant quelque fausse couleur et quelque trait irrégulier aux idées des choses qu’ils aperçoivent. Que si l’on veut s’éclaircir plus à fond de ce que je pense sur le péché originel et sur la manière dont je crois qu’il se transmet dans les enfants ; on peut lire tout d’un temps l’éclaircíssement qui répond à ce chapitre.


CHAPITRE VIII.
I. Changements qui arrivent à l’imagination d’un enfant qui sort du sein de sa mère, par la conversation qu’il a avec sa nourrice, sa mère, et d’autres personnes. — II. Avis pour les bien élever.


Dans le chapitre précédent, nous avons considéré le cerveau d’un enfant dans le sein de sa mère ; examinons maintenant ce qui lui arrive dès qu’íl en est sorti. En même temps qu’il quitte les ténèbres et qu’il voit pour la première fois la lumière, le froid de l’air extérieur le saisit ; les embrassements les plus caressants de la femme qui le reçoit offensent ses membres délicats ; tous les objets extérieurs le surprennent ; ils lui sont tous des sujets de crainte, parce qu’il ne les connaît pas encore, et qu’il n’a de lui-même aucune force pour se défendre ou pour fuir. Les larmes et les cris par lesquels il se console, sont des marques infaillibles de ses peines et de ses frayeurs ; car ce sont en effet des prières que la nature fait pour lui aux assistants, afin qu’ils le défendent des maux qu’il souffre et de ceux qu’il appréhende.

Pour bien concevoir l’embarras où se trouve son esprit en cet état, il faut se souvenir que les fibres de son cerveau sont très-molles et très-délicates, et par conséquent que tous les objets de dehors font sur elles des impressions très-profondes. Car, puisque les plus petites choses se trouvent quelquefois capables de blesser une imagination faible, un si grand nombre d’objets surprenants ne peut manquer de blesser et de brouiller celle d’un enfant.

Mais afin d’imaginer encore plus vivement les agitations et les peines où sont les enfants dans le temps qu’ils viennent au monde, et les blessures que leur imagination doit recevoir, représentons nous quel serait l’étonnement des hommes s’ils voyaient devant leurs yeux des géants cinq, ou six fois plus hauts qu’eux, qui s’ap-