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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/169

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voient tout autre chose. Et ceux qui croient que la lune est telle qu’elle leur paraît, se détromperont facilement s’ils la regardent avec des lunettes d’approche si petites qu’elles soient ; ou s’ils consultent les descriptions qu’Hevetius, Riccioli, et d’autres, en ont données au public. Or la raison pour laquelle on voit ordinairement un visage dans la lune, et non pas les taches irrégulières qui y sont, c’est que les traces de visage qui sont dans notre cerveau sont très-profondes, à cause que nous regardons souvent des visages et avec beaucoup d’attention. De sorte que les esprits animaux trouvant de la résistance dans les autres endroits du cerveau, ils se détournent facilement de la direction que la lumière de la lune leur imprime quand on la regarde, pour entrer dans ces traces auxquelles les idées de visage sont attachées par la nature. Outre que la grandeur apparente de la lune n’étant pas fort différente de celle d’une tête ordinaire dans une certaine distance, elle forme par son impression des traces qui ont beaucoup de liaison avec celles qui représentent un nez, une bouche et des yeux, et ainsi elle détermine les esprits à prendre leur cours dans les traces d’un visage. Il y en à qui voient dans la lune un homme à cheval, ou quelque autre chose qu’un visage ; parce que leur imagination ayant été vivement frappée de certains objets, les traces de ces objets se rouvrent par la moindre chose qui y a rapport.

C’est aussi pour cette même raison que nous nous imaginons voir des chariots, des hommes, des lions ou d’autres animaux dans les nues, quand il y a quelque peu de rapport entre leurs figures et ces animaux ; et que tout le monde, et principalement ceux qui ont coutume de dessiner, voient quelquefois des têtes d’hommes sur des murailles, où il y a plusieurs taches irrégulières.

C’est encore pour cette raison que les esprits de vin entrant sans direction de la volonté dans les traces les plus familières, font découvrir les secrets de la plus grande importance ; et que quand on dort on songe ordinairement aux objets que l’on a vus pendant le jour, qui ont formé de plus grandes traces dans le cerveaux parce que l’âme se représente toujours les choses dont elle a des traces plus grandes et plus profondes. Voici d’autres exemples plus composés.

Une maladie est nouvelle : elle fait des ravages qui surprennent le monde. Cela imprime des traces si profondes dans le cerveau, que cette maladie est toujours présente à l’esprit. Si cette maladie est appelée par exemple le scorbut, toutes les maladies seront le scorbut. Le scorbut est nouveau, toutes les maladies nouvelles seront le scorbut. Le scorbut est accompagné d’une dou-