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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/196

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nuelles, pourvu qu’ils s’appliquent encore davantage aux sciences qui leur sont encore plus nécessaires. On ne blâme donc point la philosophie expérimentale ni ceux qui la cultivent, mais seulement leurs défauts.

Le premier est que, pour l’ordinaire, ce n’est point la lumière de la raison qui les conduit dans l’ordre de leurs expériences : ce n’est que le hasard ; ce qui fait qu’ils n’en deviennent guère plus éclairés ni plus savants après y avoir employé beaucoup de temps et de bien.

Le second est qu’ils s’arrêtent plutôt à des expériences curieuses et extraordinaires qu’à celles qui sont les plus communes. Cependant il est visible que les plus communes étant les plus simples, il faut s’y arrêter d’abord avant que de s’appliquer à celles qui sont plus composées et qui dépendent d’un plus grand nombre de causes.

Le troisième est qu’ils cherchent avec ardeur et avec assez de soin les expériences qui apportent du profit et qui négligent celles qui ne servent qu’à éclairer l’esprit.

Le quatrième est qu’ils ne remarquent pas avec assez d’exactitude toutes les circonstances particulières, comme du temps, du lieu, de la qualité des drogues dont ils se servent, quoique la moindre de ces circonstances soit quelquefois capable d’empêcher l’effet qu’on en espère. Car il faut observer que tous les termes dont les physiciens se servent sont équivoques, et que le mot de vin, par exemple, signifie autant de choses différentes qu’il y a de différents terroirs, de différentes saisons, de différentes manières de faire le vin et de le garder ; de sorte qu’on peut même dire, en général, qu’il n’y en a pas deux tonneaux tout à fait semblables ; et qu'ainsi, quand un physicien dit : Pour faire telle expérience, prenez du vin, on ne sait que très-confusément ce qu’il veut dire. C’est pourquoi il faut user d’une très-grande circonspection dans les expériences, et ne descendre point aux composées que lorsqu’on a bien connu la raison des plus simples et des plus ordinaires.

Le cinquième est que d’une seule expérience ils en tirent trop de conséquences. Il faut, au contraire, presque toujours, plusieurs expériences pour bien conclure une seule chose, quoiqu’une seule expérience puisse aider à tirer plusieurs conclusions.

Enfin la plupart des physiciens et des chimistes ne considèrent que les effets particuliers de la nature : ils ne remontent jamais aux premières notions des choses qui composent les corps. Cependant il est indubitable qu’on ne peut connaître clairement et distinctement les choses particulières de la physique si on ne possède bien ce qu’il y a de plus général et si on ne s’éleve même jusqu’au méta-