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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/206

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pendance des enfants, et l’amour mutuel des uns et des autres : mais ces causes sont communes aux courtisans, aux serviteurs, et généralement à tous les inférieurs aussi bien qu’aux enfants. Nous les allons expliquer par l’exemple des gens de cour.

Il y a des hommes qui jugent de ce qui ne paraît point par ce qui paraît ; de la grandeur, de la force, et de la capacité de l’esprit, qui leur sont cachées, par la noblesse, les dignités et les richesses qui leur sont connues. On mesure souvent l’un par l’autre ; et la dépendance où l’on est des grands, le désir de participer à leur grandeur, et l’éclat sensible qui les environne, portent souvent les hommes à rendre à des hommes des honneurs divins, s’il m’est permis de parler ainsi. Car si Dieu donne aux princes l’autorité, les hommes leur donnent l’infaillibilité ; mais une infaillibilité qui n’est point limitée dans quelques sujets ni dans quelques rencontres, et qui n’est point attachée à quelques cérémonies. Les grands savent naturellement toutes choses ; ils ont toujours raison, quoiqu’ils décident des questions desquelles ils n’ont aucune connaissance. C’est ne savoir pas vivre que d’examiner ce qu’ils avancent : c’est perdre le respect que d’en douter. C’est se révolter, ou pour le moins, c’est se déclarer sot, extravagant et ridicule que de les condamner.

Mais lorsque les grands nous font l’honneur de nous aimer, ce n’est plus alors simplement opiniâtreté, entêtement, rébellion, c’est encore ingratitude et perfidie que de ne se rendre pas aveuglément à toutes leurs opinions, c’est une faute irréparable qui nous rend pour toujours indignes de leurs bonnes grâces ; ce qui fait que les gens de cour, et par une suite nécessaire presque tous les peuples, s’engagent sans délibérer dans tous les sentiments de leur souverain, jusque-là même que dans les vérités de la religion ils se rendent très-souvent à leur fantaisie et à leur caprice.

L’Angleterre et l’Allemagne ne nous fournissent que trop d’exemples de ces soumissions déréglées des peuples aux volontés impies de leurs princes. Les histoires de ces derniers temps en sont toutes remplies ; et l’on a vu quelquefois des personnes avancées en âge avoir changé quatre ou cinq fois de religion à cause des divers changements de leurs princes.

Les rois et même les reines ont dans l’Angleterre le gouvernement de tous les états de leurs royaumes, soit ecclésiastiques ou civils, en toutes causes. Ce sont eux qui approuvent les liturgies, les offices des fêtes et la manière dont on doit administrer et recevoir les sacrements. Ils ordonnant, par exemple, que l’on n’adore point Jésus-Christ lorsque l’on communie, quoiqu’ils obligent encore de